toute la tristesse, toute la
fatigue, sans pouvoir la leur alleger.
Je ne manquerai pourtant pas de courage, sois tranquille. J'ai ces deux
cheres fillettes a garder et a ne pas quitter d'une heure. Lolo ne sait
pas encore qu'ils sont partis. On l'a emmenee jouer dans ma chambre
pendant qu'on enlevait les malles, et elle n'a pas vu les larmes. A
diner, je vais inventer une histoire et demain encore; mais il y aura du
gros chagrin quand elle constatera que nous sommes seules; car elle est
passionnee dans ses affections et pas facile a attraper longtemps.
Tu vois, cher enfant, que je ne suis pas en route pour Paris, tant s'en
faut. Le premier mouvement de Maurice a ete de t'ecrire pour te confier
sa mere. Je te le dis pour que tu voies quelle amitie il a pour toi,
mais je l'en ai empeche. Nohant sans _eux_ est trop morne, et tu es dans
l'age de la force et du bonheur, je trouverais egoiste et lache de te
_faire quitter les tiens et tes plaisirs du Midi_ pour te condamner
a l'etat de chien de garde. Non, sois tranquille sur mon compte, je
supporterai cette crise comme il le faut, tant qu'on a un devoir a
remplir, on a la _grace suffisante_ et je ne m'ennuierai pas; cette
solitude me forcera de travailler. J'aurai le coeur gros souvent,
surtout jusqu'a dimanche, ou j'aurai un telegramme de leur arrivee a
Milan. Jusque-la, l'inquietude troublera le sommeil. Je ne sais pas si
on passe le mont Cenis sans danger en cette saison, ni comment on le
passe. C'est bete d'y penser; il y a du danger partout, meme au coin de
son feu; mais l'imagination est la folle qui n'obeit pas a la volonte.
Si tu veux de leurs nouvelles, ecris-leur: _Alla signora Lina Sand
(Calamatta), Contrada Ciorasso, 11, Milano_.
Au revoir donc, a Paris, _quand tu y seras selon le cours de tes
projets_ quand tu auras vu tout ton monde et que le mien sera revenu,
j'irai y passer quelques jours et te rappeler que Nohant t'attend quand
tu seras un peu rassasie de Paris.
Je t'embrasse tendrement, cher fils; ne sois pas inquiet de moi, mais
plains-moi un peu; ca me fera du bien.
G. SAND.
DCXCIV
A GUSTAVE FLAUBERT, A CROISSET
Nohant, 21 fevrier 1869.
Je suis toute seule a Nohant, comme tu es tout seul a Croisset. Maurice
et Lina sont partis pour Milan, pour voir Calamatta dangereusement
malade. S'ils ont la douleur de le perdre, il faudra que, pour liquider
ses affaires, ils aillent a Rome; un ennui sur un cha
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