et me garer des visites.
J'ai dine avec Plauchut, et nous avons fait ensuite une partie de
dominos. Hier, j'ai dine rue de Courcelles, avec Theo, Flaubert, les
Goncourt, Taine, etc. On n'a parle que de litterature, et, comme de
coutume, on n'a ete d'accord sur rien.
Je me porte bien; j'irai a Palaiseau apres-demain probablement. Je vous
_bige_ mille fois. Deux jours sans nouvelles de vous! Il n'y a personne
de malade, au moins?
Hier, Taine m'a parle de toi avec de grands eloges. La princesse a dit
que c'etait grand dommage que tu ne fisses plus de peinture. Taine
a dit: "Mais, il fait de la bonne litterature; c'est un esprit tres
substantiel et un talent serieux." Et puis il m'a dit qu'il avait lu
dernierement mes _Maitres sonneurs_, et que c'etait _tout aussi beau que
Virgile_. Rien que ca! Enfin il m'a parle de mes affaires et il veut en
parler a Hachette.
DCXCIX
A M. EDMOND PLAUCHUT, A PARIS
Nohant, 11 juin 1869.
Comment vas-tu, mon Planchemar? Ta petite personne delicate et frele
est-elle restauree? Trempes-tu encore des biscuits dans du madere avant
la soupe, pour te mettre en appetit?
Pour moi, je vas comme les vieux chevaux qui travaillent jusqu'a la
derniere minute avant l'abattoir. J'ai fait le voyage seule dans mon
coupe, et n'en suis descendue qu'a Chateauroux. Comme cette route que je
connais trop m'ennuie beaucoup, j'ai ferme tous les stores, j'ai dormi
jusqu'a Orleans; puis j'ai lu tout un volume de Tourguenef, jusqu'a
Nohant. Lina m'attendait a Vic, avec les deux fillettes. Toutes trois
vont bien et Lolo continue a etre une merveille. Elle ne veut plus me
quitter, et, du jardin, elle me crie: "Es-tu chez toi, bonne mere? Tu
vas pas t'en aller encore?"
La poupee a eu le plus grand succes; mais les pelles et les brouettes
l'emportent sur tout, et les bananes enfoncent tout autre mets. Maurice,
Lina et moi, nous en avons aussi la passion, et je te reponds qu'on les
fete: elles sont delicieuses! on te remercie, et Lolo repete que son
Plauchut fait tout ce qu'elle veut. Allons, marie-toi donc, gros
irresolu, pour avoir une Aurore a gater!
Gabrielle est gentille aussi comme tout, toujours gaie et toujours en
mouvement. Maurice est agriculteur jusqu'a la moelle. Il se leve a sept
heures, va aux foires et marches, et se porte a ravir. Ca l'a rajeuni
de dix ans. Tu penses que je suis heureuse de voir que tout va bien et
qu'on est heureux; Nohant est ombreu
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