Nohant, 3 juillet 1870.
Cher ami,
Je suis bien contente que _l'occasion_ nous apporte votre souvenir.
Je n'ai pas besoin de vous dire que je trouve de mauvais gout
l'interpretation donnee aux _intentions_ d'un romancier. S'il a besoin
de ce genre d'_intentions_ pour composer un personnage, c'est un pauvre
artiste. Je ne pretends pas etre une bien riche imagination. J'en ai
pourtant assez pour me passer de modeles posant devant moi, et, comme
celui qu'on pretend reconnaitre ne m'a jamais fait cet honneur-la, je
n'ai pu, en aucune facon, le copier et le presenter au public comme un
portrait d'apres nature.
Tous vos malades sont des gens brillants de sante. Maurice engraisse
visiblement, il pretend que vous l'avez _trop gueri_. Mais il mene
une vie de cultivateur et de geologue si active, qu'il se defendra de
l'alourdissement. On parle de vous sans cesse, et, si les oreilles ne
vous tintent pas, c'est qu'il y a trop de gens partout qui vous louent
et vous remercient.
G. SAND.
DCCXXXVII
A MADEMOISELLE LEROYER DE CHANTEPIE, A ANGERS
Nohant, 14 juillet 1870.
Je suis embarrassee pour vous conseiller, chere ame tourmentee. Vous
etes dans une de ces situations d'esprit ou le pour et le contre se
balancent sans solution. Vous eprouvez le besoin de changer de milieu,
et, des que vous quittez le votre, tout vous manque; vous regrettez,
comme vous le dites, tres bien, jusqu'aux herbes de votre jardin. J'ai
traverse ces souffrances; mais je suis toujours revenue a mon nid
avec bonheur, et, a present, je crois que le mieux n'est pas dans le
changement. Toute situation a ses amertumes ou ses langueurs, et je ne
puis croire que les gens qui vous aiment vous laissent tourmenter a
l'age ou vous ne pourriez plus vous defendre vous-meme. Cet age est loin
encore, Dieu merci! et qui sait s'il viendra? La vieillesse n'est
pas forcement la decadence intellectuelle. C'est quelquefois tout le
contraire. Vous etes une ame genereuse et forte de droiture. Si les
fantomes vous tourmentent et vous terrassent par moments, vous vous
retrouvez toujours sur vos pieds, _toujours la meme_, vous en convenez
vous-meme. Vous n'etes donc pas en danger de devenir la proie des
inquisiteurs du corps et de l'ame. N'ayez pas cette crainte: la crainte
est un vertige qui nous attire dans le peril imaginaire. Supprimez ce
vertige, il n'y a plus de peril.
Quant a l'emploi de votre fortune,
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