eux faire.
Tout ceci entre nous. Vous comprenez bien qu'avec Flaubert je n'ai pu
dire aussi crument les choses.
Bien affectueusement a vous.
MICHEL LEVY.
DCCXXXII
A GUSTAVE FLAUBERT, A CROISSET
Nohant, 20 mai 1870.
Il y a bien longtemps que je suis sans nouvelles de mon vieux
troubadour. Tu dois etre a Croisset. S'il y fait aussi chaud qu'ici, tu
dois souffrir; nous avons, 34 degres a l'ombre, et la nuit 24. Maurice a
eu une forte rechute de mal de gorge. Enfin, cette chaleur insensee l'a
gueri, elle nous va a tous ici. Les enfants sont gais et embellissent a
vue d'oeil. Moi, je ne fiche rien; j'ai eu trop a faire pour soigner et
veiller encore mon garcon, et, a present que la petite mere est absente,
les fillettes m'absorbent. Je travaille tout de meme en projets et
revasseries. Ce sera autant de fait quand je pourrai barbouiller du
papier.
Je suis toujours _sur mes pieds_, comme dit le docteur Favre. Pas encore
de vieillesse, ou plutot la vieillesse normale, le calme... _de la
vertu_, cette chose dont on se moque, et que je dis par moquerie, mais
qui correspond, par un mot emphatique et bete, a un etat d'inoffensivite
forcee, sans merite par consequent, mais agreable et bon a savourer. Il
s'agit de le rendre utile a l'art quand on s'y devoue; je n'ose pas dire
combien je suis naive et primitive de ce cote-la. C'est la mode de s'en
moquer; mais qu'on se moque, je ne veux pas changer.
Voila mon examen de conscience: _du printemps_, pour ne plus penser, de
tout l'ete, qu'a ce qui ne sera pas moi.
Voyons, toi, ta sante d'abord? Et cette tristesse, ce mecontentement
que Paris t'a laisse, est-ce oublie? N'y a-t-il plus de circonstances
exterieures douloureuses? Tu as ete trop frappe, aussi. Deux amis de
premier ordre partis coup sur coup. Il y a des epoques de la vie ou le
sort nous est feroce. Tu es trop jeune pour te concentrer dans l'idee
d'un _recouvrement_ des affections dans un monde meilleur, ou dans ce
monde-ci ameliore. Il faut donc, a ton age (et, au mien, je m'y
essaye encore), se rattacher d'autant plus a ce qui nous reste. Tu me
l'ecrivais quand j'ai perdu Rollinat, mon double en cette vie, l'ami
veritable, dont le sentiment de la difference des sexes n'avait jamais
entame la pure affection, meme quand nous etions jeunes. C'etait mon
Bonilhet et plus encore; car, a mon intimite de coeur, se joignait un
respect religieux pour un veritable type de coura
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