NOHANT
Paris, 21 fevrier 1870.
Pendant que tu m'ecrivais que madame Chatiron allait probablement mieux,
elle s'en allait, la pauvre femme! et j'ai recu par Rene la triste
nouvelle en meme temps que les esperances de ta lettre.
Je vois que la neige et la glace vous ont isoles, comme si vous etiez
dans les Alpes ou dans les Pyrenees. Quel hiver! il n'est pas etonnant
que ce pauvre etre si fragile, dont la vie tenait du prodige, n'ait
pu le supporter. C'etait, en somme, une femme excellente et que j'ai
appreciee quand elle a vecu chez moi. Je sais que Leontine la regrettera
beaucoup; je lui ecris; tachez de la consoler un peu.
Je suis enfin sortie aujourd'hui. J'ai ete a la repetition et j'ai avale
mes cinq actes sans fatigue[1]. Il ne faisait plus froid; j'ai vu les
decors, qui sont tres beaux et j'ai fait mon compliment a Zarafle frise.
La piece a beaucoup gagne a quelques coupures et a certains bequets.
Les acteurs vont tres bien; Sarah[2] a ete secouee par mes reproches du
commencement; elle joue enfin en jeune fille honnete et interessante,
tout se debrouille et avance. On croit a un grand succes de _duree_,
tout est la; car la premiere representation ne prouve plus rien dans les
habitudes du theatre moderne.
Madame Bondois est tres _approuvee_ et tres bonne; elle a saisi le
joint. La piece passera jeudi ou vendredi au plus tard.
Je vous _bige_ mille fois.
[1] Il s'agit de _l'Autre_, qui fut represente, a l'Odeon, le
25 fevrier.
[2] Sarah Bernhardt.
DCCXXII
A MADAME SIMMONNET, A LA CHATRE
Paris, 21 fevrier 1870.
Chere enfant,
J'apprends par Rene[1] que le douloureux evenement prevu n'a pu etre
detourne[2]. Je joins mes regrets sinceres aux votres, je garderai toute
ma vie a cette digne femme un sentiment de profonde estime. Elle n'avait
pas de petitesses; son caractere etait a la hauteur de son intelligence;
j'ai pu l'apprecier durant des annees ou nous avons vecu sous le meme
toit et ou bien des choses autour de nous tendaient a nous desunir. Je
l'ai toujours trouvee forte et vraie, fidele en amitie et jugeant tout
de tres haut. La duree d'une existence si fragile etait un probleme;
elle a vecu par la force morale.
Je partage le dechirement de cette separation pour toi et pour tes chers
enfants. Ils sont bien bons, bien intelligents; ils t'aiment tendrement
et religieusement; ils t'aideront a subir cette i
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