lette de trois ans, que nous etions tous
stupefies a la regarder. Nous avons joue ensuite des charades, soupe,
folatre jusqu'au jour. Tu vois que, relegues dans un desert, nous
gardons pas mal de vitalite. Aussi je retarde tant que je peux le voyage
a Paris et le chapitre des affaires. Si tu y etais, je ne me ferais pas
tant tirer l'oreille. Mais tu y vas a la fin de mars et je ne pourrai
tirer la ficelle jusque-la. Enfin, tu jures de venir cet ete et nous y
comptons absolument. J'irai plutot te chercher par les cheveux.
Je t'embrasse de toute ma force sur ce bon espoir.
DCXCIII
A. M. EDMOND PLAUCHUT, A PARIS
Nohant, 18 fevrier 1869.
Cher enfant,
Je recois ta lettre ce matin, et, ce soir, me voila bien triste et toute
seule avec mes deux petites, cachant a Aurore que papa et maman
viennent de partir pour Milan. Un telegramme nous a annonce que le
pere Calamatta, qui etait malade depuis pres d'un an sans donner
d'inquietudes serieuses, etait dans un etat tres alarmant. Les enfants
sont donc partis tout de suite, Maurice bien affecte de quitter mere et
enfants; Lina desolee de quitter tout cela pour aller peut-etre trouver
son pere mort ou mourant.
Voila comme le malheur vous tombe sur la tete au milieu du calme et de
la joie; car, a l'habitude et quand tout va bien physiquement chez nous
et autour de nous, nous sommes vraiment des enfants gates du bon Dieu,
vivant si unis les uns pour les autres. C'est-la, cher enfant, qu'il
faut un peu de courage a ta vieille mere pour ne par broyer du noir;
et les petites contrarietes de theatre que tu m'as vu supporter si
patiemment paraissent ce qu'elles sont, rien du tout au prix de ce qui
contriste le coeur. Enfin! courage, n'est-ce pas? a ce chagrin qui nous
menace et nous cogne, il se joindra peut-etre de grandes contrarietes.
Si ce pauvre homme meurt, il faudra probablement que mes enfants aillent
a Rome, ou il a enfoui tout ce qu'il possede, tableaux, meubles rares,
etc. Il n'y en a pas pour un grosse somme; il faut pourtant ne pas
laisser piller cela, et je crains que le transport ou la vente de ces
objets ne donne beaucoup de peine ou d'ennui pour peu de compensation.
Et puis c'est un prolongement d'absence et je serai peut-etre seule un
mois. Si c'etait pour eux une partie de plaisir, je serais gaie dans ma
solitude, de penser a leurs amusements; mais, dans les conditions ou ils
sont, ce voyage est navrant et j'en bois
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