faits plus patients? Elle a, comme toutes
les choses de la civilisation, aiguise notre esprit et augmente notre
ardeur. Nous avons besoin d'etre heureux, nous sentons que cela est du a
la race humaine, la soif du mieux, du bon et du vrai nous devore.
Nos peres avaient la resignation, le degout de la vie presente, le
mepris de la terre. Cela ne nous est plus permis. Nous sentons que
mepriser le jour ou nous sommes est lache et criminel, et pourtant nous
tombons dans ce crime a chaque instant.--Pas vous! non, je vois bien
que vous vivez toujours d'une idee intense. Vous voyez le fait, vous
cherchez l'action, vous revez au moyen. Vous vous demandez comment la
France peut sauver la France; vous etes _militaire_ parce que vous etes
_militant_; c'est beau et bien, je vous envie.
Moi, je ne doute pas des bras, je crains pour les coeurs. Que la guerre
s'allume sur une grande ligne, avant peu, je le crois; que nous nous
defendions bien, je l'espere; mais serons-nous plus forts apres? Est-ce
parce que nous gagnerons des batailles que nous serons plus hommes et
que nous comprendrons mieux la verite? En 93, nous defendions une idee;
en 1815, nous ne defendions que le sol. N'importe, le nom sacre de la
France est encore un prestige; vous avez raison; ne crions pas nos
douleurs et, jusqu'a la mort, cachons nos blessures.
Amities devouees de Maurice, et a vous de tout mon coeur.
G. SAND.
DCXLVII
A GUSTAVE FLAUBERT, A PARIS
Nohant, aout 1867.
Je te benis, mon cher vieux pour la bonne pensee que tu as eue de venir;
mais tu as bien fait de ne pas voyager malade. Ah! mon Dieu, je ne reve
que maladie et malheur: soigne-toi, mon vieux camarade. J'irai te voir
si je peux me remonter; car, depuis ce nouveau coup de poignard, je suis
faible et accablee et je traine une espece de fievre. Je t'ecrirai un
mot de Paris. Si tu es empeche, tu me repondras par telegramme. Tu sais
qu'avec moi, il n'y a pas besoin d'explications: je sais tout ce qui est
empechement dans la vie et jamais je n'accuse les coeurs que je connais.
--Je voudrais que, des a present, si tu as un moment pour m'ecrire, tu
me dises ou il faut que j'aille passer trois jours pour voir la cote
normande sans tomber dans les endroits ou va _le monde_. J'ai besoin,
pour continuer mon roman, de voir un paysage de la Manche, dont tout le
monde n'ait pas parle, et ou il y ait de vrais habitants chez eux, des
paysans, des pecheurs, un
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