esseuse et,
depuis deux jours que je suis ici, je ne fais que dormir ou flaner,
embrasser ma petite ou ranger des plantes. Quand on est seule chargee de
conduire sa vie au dehors, femme et vieille avec ca, et distraite
par nature, il faut faire de grands efforts de volonte pour ne pas
s'embrouiller a tout instant. Quand je me retrouve ici, ou la vie est
toute faite, ou je n'ai a me meler d'aucune initiative, ou le feu
est fait sans que j'y mette la main, et le diner pret sans que je le
commande, j'ai quelques jours d'un _farniente_ agreable et pas mal
egoiste.
Mais cela ne doit pas durer. Je vais me remettre au travail, et je
commence par vous dire bonjour pour me sortir de mon idiotisme. J'ai
trouve Aurore en train d'etre sevree et un peu agitee; mais c'est fini
et tout va bien. Le pere et la mere vont bien aussi et sont ravis de
savoir que vous nous reviendrez. Je vous le disais bien! Je sentais
que vous ne pouviez pas quitter comme cela des gens qui vous aiment.
Qu'est-ce qu'il y a de bon dans la vie hormis cela?
A propos, le livre de Taine est bien dur, bien triste et bien froid:
tres beau pourtant, tres artiste; le cote de _l'esprit_ est plus
original que gai et plus tente que reussi. Mais il y a tant d'admirables
choses, que cela laisse tout de meme une force dans l'ame et une clarte
dans la conscience. Oserai-je lui dire cela, le bien et le mal? Je n'ai
pas le droit de critique et je critiquerais surtout le _point de vue_,
dont la verite ne porte que sur un certain monde factice, et ne descend
pas assez dans les interieurs honnetes et vrais. Ce n'est pas le don de
voir le bon et le bien qui lui manque, a preuve les dernieres-pages, qui
sont adorables. Ne pourrait-on pas dire a M. Graindorge qu'il a vu le
monde si laid, parce qu'il a frequente le vilain monde?--Mais quel
talent! qu'il soit beni quand meme.
Quand partez-vous, et surtout quand revenez-vous? Si vous pouviez vous
arranger pour ne pas partir du tout? Qui sait? En tout cas, tachez de
venir nous voir ou de m'attendre encore une fois a Paris.
A vous de coeur.
G. SAND.
[1] M. et madame Frederic Viliot.
DCLIII
A M. ARMAND BARBES. A LA HAYE
Nohant, 12 octobre 1867.
Cher grand ami,
Je vous envoie le remerciement de Gustave Flaubert et meme son
griffonnage a moi adresse, ou il est question de vous a coeur ouvert.
Et, moi, je vous remercie de lui avoir donne des dates et des
renseignements surs
|