ecrivait votre caractere, vos aptitudes, et on voyait sa tendresse
dominer ses inquietudes paternelles. La source de vos desaccords n'etait
dans aucun de vous: elle etait en dehors de la famille, dans des idees
d'autorite qui s'y glissaient malgre lui, et qui n'etaient pas justes,
pas applicables a nos generations.
J'ai lu ces jours-ci un livre tres bon et tres touchant qui m'a rappele
mes entretiens sur vous avec ce cher pere et qui, en verite, sont comme
un reflet de ces entretiens, bien qu'ils soient restes absolument entre
lui et moi. Ce livre s'appelle _les Peres et les Enfants_. Il est
d'Ernest Legouve. Si vous ne pouvez vous le procurer a Perpignan, je
vous l'enverrai; il vous fera du bien, j'en suis sure, mais il faut le
lire entier. Il met en presence le _pour_ et le _contre_; la conclusion
proclame l'independance de l'individu, l'affranchissement de l'homme
par l'homme, du fils par le pere, et en meme temps, il renoue la chaine
souvent brisee des tendresses sublimes.
Pendant que vous me demandiez les lettres et le calepin a Paris, je les
avais la, dans un carton et je n'en savais rien; je les croyais ici. Mon
premier soin a ete, en arrivant, de les chercher, et, ne trouvant ni le
carton ni les lettres, j'ai constate ma bevue. Mais soyez tranquille, a
mon premier voyage a Paris, je les retrouverai, et dites bien a votre
mere d'etre tranquille aussi: ces precieuses lettres lui seront rendues.
A vous de coeur, mon cher enfant.
G. SAND.
DCLXXXIX
A M. ARMAND BARBES, A LA HAYE
Nohant, 2 janvier 1869.
Cher grand ami,
Comme c'est bon a vous de ne pas m'oublier au nouvel an! nos pensees se
sont croisees; car j'allais vous ecrire aussi. Non, Aurore n'a pas de
petit frere, il n'y a que deux fillettes: l'une de trois ans, l'autre
de neuf a dix mois. Toutes deux ont ete baptisees protestantes
dernierement; c'est ce bapteme qui a fait croire a l'arrivee d'un nouvel
enfant. Ce frere viendra peut-etre, mais il n'est pas sur le tapis.
Quant, au bapteme protestant, ce n'est pas un engagement pris
d'appartenir a une orthodoxie quelconque d'institution humaine. C'est,
dans les idees de mon fils, une _protestation_ contre le catholicisme,
un divorce de famille avec l'Eglise, une rupture determinee et declaree
avec le pretre romain. Sa femme et lui se sont dit que nous pouvions
tous mourir avant d'avoir _fixe_ le sort de nos enfants, et qu'il
fallait qu'ils fussent munis d'u
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