cours. Votre pays est riche, a ce que je vois. Quand vous
viendrez, je vous apprendrai a arranger vos plantes; elles sont mal
preparees. Elles tombent en poussiere et, pour quelques-unes, c'est
grand dommage. Je partage votre predilection pour la _parnassie_. On
se figure que certaines plantes sont douces et heureuses plus que les
autres. Je vous embrasse et vous aime, ma bonne fille.
G. SAND.
DCXLVI
A M. ARMAND BARBES, A LA HAYE
Nohant, 27 aout 1867..
Cher excellent ami,
J'ai ete frappee d'une douleur profonde. J'ai perdu mon ami Rollinat,
qui etait un frere dans ma vie: je l'ai su a peine malade et il
demeurait a huit lieues de moi! J'ai ete si accablee pendant quelques
jours, que je ne comprenais pas cette separation, je n'y croyais pas. Je
la sens, a present. C'est l'heure du courage qui est la plus cruelle,
n'est-ce pas?
On dit qu'en vieillissant on a moins de sensibilite et il en devrait
etre ainsi, car le terme de la separation est plus court; mais je trouve
le dechirement plus affreux, moi. Plus on avance dans le voyage, plus
on a besoin de s'appuyer sur les vieux compagnons de route, et celui-la
etait un des plus eprouves et des plus solides, une ame comme la votre;
oui, il etait digne de vous etre compare. Il avait toutes les vertus,
aussi. Il est bien ou il est a present, il recoit sa recompense, il se
repose de ses fatigues, il entrevoit des lueurs nouvelles, un espoir
plus net, une vie meilleure a parcourir, des devoirs nouveaux avec des
forces retrempees et un coeur rajeuni.
Mais rester sans lui, voila le difficile et le cruel!
Je sais que vous m'en aimerez mieux et que vous penserez a moi avec plus
de tendresse encore. Je ne veux pas me plaindre. Rien ne m'attache plus
a la vie que mes enfants et mes amis. Tout ce qui n'est pas affection
m'ennuie a present, le travail n'est plus pour moi qu'un moyen, de me
fatiguer pour m'endormir.
Je sais de la vie tout ce qu'elle peut donner, c'est-a-dire, helas! tout
ce qu'elle ne peut pas nous donner dans ces jours de decomposition ou la
misere humaine met a nu toutes ses plaies morales. Nous subissons les
lois du temps et les fatalites de l'histoire. Plus heureux que les
hommes du passe, nous ne disons pas comme eux: "C'est la fin du monde."
Nous ne croyons pas que tout est use et brise parce que tout va mal;
mais la notion du progres, qui nous a faits plus forts de raisonnement
que nos peres, nous a-t-elle
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