e faire un nom en achetant des
collections de tableaux ou de potiches qui l'auraient ennuye, en prenant
une maitresse en vue qui l'aurait affiche, en montant une ecurie de
course qui l'aurait dupe; mais en esprit pratique qu'il etait, il avait
trouve que le plus simple encore et le moins fatigant, etait d'abattre
nonchalamment une carte, de pousser une liasse de billets de banque a
droite ou a gauche et de dire sans se presser: "Je tiens."
Et ce calcul s'etait trouve juste. En six mois ce nom d'Otchakoff etait
devenu celebre, les journaux l'avaient cite, tambourine, trompete, et
la foule moutonniere l'avait repete. Ce jeune homme, qui n'avait jamais
fait autre chose dans la vie que de tourner une carte et de combiner un
coup, etait devenu un personnage.
Mais une reputation ne surgit pas ainsi sans susciter la jalousie et
l'envie: le prince Savine, qui de tres bonne foi croyait etre le seul
digne de representer avec eclat son pays a Paris, avait ete exaspere par
ce bruit. Si encore cet intrus, qui venait prendre une part, et une tres
grosse part de cette celebrite mondaine qu'il voulait pour lui tout seul
avait ete Anglais, Turc, Mexicain, il se serait jusqu'a un certain point
calme en le traitant de sauvage; mais un Russe! un Russe qui se montrait
plus riche que lui, Savine! un Russe qu'on disait, et cela etait vrai,
d'une noblesse plus haute et plus ancienne que la sienne a lui Savine!
Il fallait que n'importe a quel prix, meme au prix de son argent, auquel
il tenait tant, il defendit sa position menacee et se maintint au rang
qu'il avait conquis, qu'il occupait sans rivaux depuis plusieurs annees
et qui le rendait si glorieux.
Alors, lui toujours si rogue et si gonfle, s'etait fait l'homme le
plus aimable du monde, le plus affable, le plus gracieux avec quelques
journalistes qu'il connaissait, et il les avait bombardes d'invitations
a dejeuner, ne s'adressant, bien entendu, qu'a ceux qu'il savait assez
vaniteux pour etre fiers d'une invitation a l'hotel Savine et en
situation de parler de ses dejeuners dans leurs chroniques et aussi de
tout ce qu'il voulait qu'on celebrat: son luxe, sa fortune, sa noblesse,
son gout, son esprit, son courage, sa force, sa sante, sa beaute.
Puis, apres s'etre assure le concours de cette fanfare, il avait
commence sa manoeuvre.
Trois jours apres une perte enorme subie par Otchakoff avec son flegme
ordinaire, Raphaelle, la maitresse de Savine, avait vu arriver un matin
dans la c
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