--Et le bon jeune homme, continua mademoiselle Berengere.
"Ne soyez pas surprise de cette appellation; c'est encore une
plaisanterie dirigee contre ce pauvre Colombe qui, toutes les fois
qu'il parle de M. Aurelien, ne manque jamais de l'appeler "ce bon jeune
homme", et dans sa bouche, vous savez que c'est un eloge qui, pour lui
comme pour moi d'ailleurs, est pleinement justifie par les qualites de
votre cher fils.
"--Pleurons madame Pretavoine, dit le vieux comte O'Donoghue; je
m'associe volontiers a ces regrets, mais je ne veux pas pleurer le "bon
jeune homme", comme dit Berengere.
"--Et pourquoi donc? demanda mademoiselle de la Roche-Odon.
"Colombe, vous le savez, n'est pas d'une bravoure heroique, et son
habitude n'est pas de se jeter a travers les discussions. A ce mot
cependant il releva la tete.
"--Oui, pourquoi? demanda-t-il.
"--Parce que "votre bon jeune homme" me paralyse la langue. Voila tout.
Je ne crois pas que personne puisse me reprocher de me complaire dans
des recits inconvenants; cela n'est ni dans mes gouts, ni dans mes
habitudes. Jamais je n'ai hesite a rire et a plaisanter devant
Berengere. Eh bien, devant votre "bon jeune homme," j'etais paralyse; il
me semblait que j'allais le blesser dans son austerite, et, quand il
se tournait vers moi, grave et digne, avec sa tete jeune, ma langue se
glacait; quand il s'approchait, je baissais la voix."
"--Bravo! s'ecria Dieudonne.
"--Il est certain, dit le capitaine de Gardilane, qu'il ne vous met
pas a l'aise, et cependant je declare que, pour moi, je l'ai toujours
trouve, dans nos rapports, plein de prevenances.
"--Eh bien, dit Berengere en riant, ne le pleurons pas alors, et puisque
les langues sont deliees, qu'elles abusent de leur liberte.
"Vous comprenez que l'abbe Colombe et moi nous nous elevames contre
cette condamnation et nous defendimes Aurelien comme il devait etre
defendu."
Bien entendu madame Pretavoine n'avait pas communique cette lettre a
Aurelien, pas plus qu'elle ne lui avait montre celles dans lesquelles
on parlait des assiduites du capitaine de Gardilane au chateau de la
Rouvraye,--de la melancolie de mademoiselle de la Roche-Odon, et des
changements qui se faisaient en elle, sans que cependant on put dire
qu'elle etait malade,--de la belle amitie qu'elle temoignait a Sophie
Fautrel et a son enfant,--d'un voyage que le capitaine de Gardilane
avait du faire dans le Midi, et qui au moment meme du depart, avait
manque
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