s barriques; le mouvement des trains sur le pont
du chemin de fer de ceinture dont les arches barraient la vue de
Paris qu'on devinait dans une brume noire plutot qu'on ne le
voyait; enfin pres d'elle, sous ses yeux, le travail des employes
de l'octroi qui passaient de longues lances a travers les voitures
de paille, ou escaladaient les futs charges sur les haquets, les
percaient d'un fort coup de foret, recueillaient dans une petite
tasse d'argent le vin qui en jaillissait, en degustaient quelques
gouttes qu'ils crachaient aussitot.
Comme tout cela etait curieux, nouveau; elle s'y interessait si
bien, que le temps passait, sans qu'elle en eut conscience.
Deja un gamin d'une douzaine d'annees qui avait tout l'air d'un
clown, et appartenait surement a une caravane de forains dont les
roulottes avaient pris la queue, tournait autour d'elle depuis dix
longues minutes, sans qu'elle eut fait attention a lui, lorsqu'il
se decida a l'interpeller:
"V'la un bel ane!"
Elle ne dit rien.
"Est-ce que c'est un ane de notre pays? Ca m'etonnerait joliment."
Elle l'avait regarde, et voyant qu'apres tout il avait l'air bon
garcon, elle voulut bien repondre:
"Il vient de Grece.
-- De Grece!
-- C'est pour cela qu'il s'appelle Palikare.
-- Ah! c'est pour cela!"
Mais malgre son sourire entendu, il n'etait pas du tout certain
qu'il eut tres bien compris pourquoi un ane qui venait de Grece
pouvait s'appeler Palikare.
"C'est loin, la Grece? demanda-t-il.
-- Tres loin.
-- Plus loin que... la Chine?
-- Non, mais loin, loin.
-- Alors vous venez de la Grece?
-- De plus loin encore.
-- De la Chine?
-- Non; c'est Palikare qui vient de la Grece.
-- Est-ce que vous allez a la fete des Invalides?
-- Non.
-- Ousque vous allez?
-- A Paris.
-- Ousque vous remiserez votre roulotte?
-- On nous a dit a Auxerre qu'il y avait des places libres sur les
boulevards des fortifications?"
Il se donna deux fortes claques sur les cuisses en plongeant de la
tete.
"Les boulevards des fortifications, oh la la la!
-- Il n'y a pas de places?
-- Si.
-- Eh bien?
-- Pas pour vous. C'est, voyou les fortifications. Avez-vous des
hommes dans votre roulotte, des hommes solides qui n'aient pas
peur d'un coup de couteau? J'entends d'en donner et d'en recevoir.
-- Nous ne sommes que ma mere et moi, et ma mere est malade.
-- Vous tenez a votre ane?
-- Bien sur.
-- Eh bien, demain votre ane vous ser
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