giner que la fievre du
chagrin la nourrirait toujours, et savait qu'on ne marche pas sans
manger. En combinant son voyage elle n'avait compte pour rien les
fatigues de la route, le froid des nuit et la chaleur du jour,
tandis qu'elle comptait pour tout la nourriture que sa piece de
cinq francs lui assurait; mais maintenant qu'on venait de lui
prendre ses cinq francs et qu'il ne lui restait plus qu'un sou,
comment acheterait-elle la livre de pain qu'il lui fallait chaque
jour? Que mangerait-elle?
Instinctivement elle jeta un regard de chaque cote de la route ou
dans les champs; sous la lumiere rasante du soleil couchant
s'etalaient des cultures: des bles qui commencaient a fleurir, des
betteraves qui verdoyaient, des oignons, des choux, des luzernes,
des trefles; mais rien de tout cela ne se mangeait, et d'ailleurs,
alors meme que ces champs eussent ete plantes de melons murs ou de
fraisiers charges de fruits, a quoi cela lui eut-il servi? elle ne
pouvait pas plus etendre la main pour cueillir melons et fraises
qu'elle ne pouvait la tendre pour implorer la charite des
passants; ni voleuse, ni mendiante, vagabonde.
Ah! comme elle eut voulu en rencontrer une aussi miserable qu'elle
pour lui demander de quoi vivent les vagabonds le long des chemins
qui traversent les pays civilises.
Mais y avait-il au monde aussi miserable, aussi malheureuse
qu'elle, seule, sans pain, sans toit, sans personne pour la
soutenir, accablee, ecrasee, le coeur etrangle, le corps enfievre
par le chagrin?
Et cependant il fallait qu'elle marchat, sans savoir si au but une
porte s'ouvrirait devant elle.
Comment pourrait-elle arriver a ce but?
Tous nous avons dans notre vie quotidienne des heures de vaillance
ou d'abattement pendant lesquelles le fardeau que nous avons a
trainer se fait ou plus lourd ou plus leger; pour elle c'etait le
soir qui l'attristait toujours, meme sans raison; mais combien
plus pesamment quand, a l'inconscient, s'ajoutait le poids des
douleurs personnelles et immediates qu'elle avait en ce moment a
supporter!
Jamais elle n'avait eprouve pareil embarras a reflechir, pareille
difficulte a prendre parti; il lui semblait qu'elle etait
vacillante, comme une chandelle qui va s'eteindre sous le souffle
d'un grand vent, s'abattant sans resistance possible tantot d'un
cote, tantot de l'autre, folle.
Combien melancolique etait-elle cette belle et radieuse soiree
d'ete, sans nuages au ciel, sans souffle d'air, d'auta
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