lus raides, mais cela
etait insignifiant, la terre aussi etait dure la premiere fois
qu'elle avait couche dessus, et, bien vite, elle s'y etait
habituee.
La porte ne tarda pas a s'ouvrir et une jeune fille d'une
quinzaine d'annees etant entree dans la chambre commenca a se
deshabiller, en regardant, de temps en temps du cote de Perrine,
mais sans rien dire. Comme elle etait endimanchee, sa toilette fut
longue, car elle dut ranger dans une petite caisse ses vetements
des jours de fete, et accrocher a un clou pour le lendemain ceux
du travail.
Une autre arriva, puis une troisieme, puis une quatrieme; alors ce
fut un caquetage assourdissant; toutes parlant en meme temps,
chacune racontait sa journee; dans l'espace menage entre les lits
elles tiraient et repoussaient leurs boites ou leurs paniers qui
s'enchevetraient les uns dans les autres, et cela provoquait des
mouvements d'impatience ou des paroles de colere qui toutes se
tournaient contre la proprietaire du grenier.
"Queu taudis!
-- El'mettra bentot d'autres lits au mitan.
-- Por sur, j'ne resterai point la d'ans.
_ Ou qu' t'iras; c'est-y mieux cheux l'zautres?"
Et les exclamations se croisaient; a la fin cependant, quand les
deux premieres arrivees se furent couchees, un peu d'ordre
s'etablit, et bientot tous les lits furent occupes, un seul
excepte.
Mais pour cela les conversations ne cesserent point, seulement
elles tournerent; apres s'etre dit ce qu'il y avait eu
d'interessant dans la journee ecoulee, on passa a celle du
lendemain, au travail des ateliers, aux griefs, aux plaintes, aux
querelles de chacune, aux potins de l'usine entiere, avec un mot
de ses chefs: M. Vulfran, ses neveux qu'on appelait les "jeunes",
le directeur, Talouel, qu'on ne nomma qu'une fois, mais qu'on
designa par des qualificatifs qui disaient mieux que des phrases
la facon dont on le jugeait: la Fouine, l'Mince, Judas.
Alors Perrine eprouva un sentiment bizarre dont les contradictions
l'etonnerent: elle voulait etre tout oreilles, sentant de quelle
importance pouvaient etre pour elle les renseignements qu'elle
entendait; et d'autre part elle etait genee, comme honteuse
d'ecouter ces propos.
Cependant ils allaient leur train, mais si vagues bien souvent, ou
si personnels qu'il fallait connaitre ceux a qui ils
s'appliquaient pour les comprendre; ainsi elle fut longtemps sans
deviner que la Fouine, l'Mince et Judas ne faisaient qu'un avec
Talouel, qui etait la bete n
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