ait pour du cidre, du cafe ou de l'eau-de-
vie, et l'on tapait les verres ou les tasses sur les tables avec
des eclats de voix qui ressemblaient a des disputes.
"Que de gens qui boivent! dit Perrine.
-- Ce serait bien autre chose si nous etions un dimanche qui suit
la paye de quinzaine; vous verriez combien il y en a qui, des
midi, ne peuvent plus boire."
Ce qu'il y avait de caracteristique dans la plupart des maisons
devant lesquelles elles passaient, c'etait que presque toutes si
vieilles, si usees, si mal construites qu'elles fussent, en terre
ou en bois hourde d'argile, affectaient un aspect de coquetterie
au moins dans la peinture des portes et des fenetres qui tirait
l'oeil comme une enseigne. Et en effet c'en etait une; dans ces
maisons on louait des chambres aux ouvriers, et cette peinture, a
defaut d'autres reparations, donnait des promesses de proprete,
qu'un simple regard jete dans les interieurs dementait aussitot.
"Nous arrivons, dit Rosalie en montrant de sa main libre une
petite maison en briques qui barrait le chemin dont une haie
tondue aux ciseaux la separait; au fond de la cour et derriere se
trouvent les batiments qu'on loue aux ouvriers: la maison, c'est
pour le debit, la mercerie; et au premier etage sont les chambres
des pensionnaires."
Dans la haie, une barriere en bois s'ouvrait sur une petite cour,
plantee de pommiers, au milieu de laquelle une allee empierree
d'un gravier grossier conduisait a la maison. A peine avaient-
elles fait quelques pas dans cette allee, qu'une femme, jeune
encore, parut sur le seuil et cria:
"Depeche te donc, caleuse, en v'la eine affaire pour aller a
Picquigny, tu t'auras assez caline.
-- C'est ma tante Zenobie, dit Rosalie a mi-voix, elle n'est pas
toujours commode.
-- Que que tu chuchotes?
-- Je dis que si on ne m'avait pas aide a porter le panier, je ne
serais pas arrivee.
-- Tu ferais mieux ed' d'te taire, arkanseuse."
Comme ces paroles etaient, jetees sur un ton criard, une grosse
femme se montra dans le corridor.
"Qu'est-ce que vos ave core a argouiller? demanda-t-elle.
-- C'est tante Zenobie qui me reproche d'etre en retard,
grand'mere; il est lourd le panier.
-- C'est bon, c'est bon, dit la grand'mere placidement, pose la
ton panier, et va prendre ton fricot sur le potager, tu le
trouveras chaud.
-- Attendez-moi dans la cour, dit Rosalie a Perrine, je reviens
tout de suite, nous dinerons ensemble; allez acheter votre pain;
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