eta dans le gosier le verre qu'il avait verse, et se remit
au tri de ses chiffons, autrement dit a son "triquage".
Aussitot qu'elle eut installe Palikare a la place qui lui avait
ete assignee, ce qui ne se fit pas sans certaines secousses,
malgre le soin qu'elle prenait de les eviter, elle monta dans la
roulotte:
"A la fin, pauvre maman, nous voila arrivees.
-- Ne plus remuer, ne plus rouler! Tant et tant de kilometres! Mon
Dieu, que la terre est grande!
-- Maintenant que nous avons le repos, je vais te faire a diner.
Qu'est-ce que tu veux?
-- Avant tout, detelle ce pauvre Palikare, qui, lui aussi, doit
etre bien las; donne-lui a manger, a boire; soigne-le.
-- Justement, je n'ai jamais vu autant de chardons; de plus, il y
a un puits. Je reviens tout de suite."
En effet, elle ne tarda pas a revenir et se mit a chercher ca et
la dans la voiture, d'ou elle sortit le fourneau en terre,
quelques morceaux de charbon et une vieille casserole, puis elle
alluma le feu avec des brindilles et le souffla, en s'agenouillant
devant, a pleins poumons.
Quand il commenca a prendre, elle remonta dans la voiture:
"C'est du riz que tu veux, n'est-ce pas?
-- J'ai si peu faim.
-- Aurais-tu faim pour autre chose? J'irai chercher ce que tu
voudras. Veux-tu?...
-- Je veux bien du riz."
Elle versa une poignee de riz dans la casserole ou elle avait mis
un peu d'eau, et, quand l'ebullition commenca, elle remua le riz
avec deux baguettes blanches depouillees de leur ecorce, ne
quittant la cuisine que pour aller rapidement voir comment se
trouvait Palikare et lui dire quelques mots d'encouragement qui, a
vrai dire, n'etaient pas indispensables, car il mangeait ses
chardons avec une satisfaction, dont ses oreilles traduisaient
l'intensite.
Quand le riz fut cuit a point, a peine creve et non reduit on
bouillie, comme le servent bien souvent les cuisinieres
parisiennes, elle le dressa sur une ecuelle en une pyramide a
large base, et le posa dans la voiture.
Deja elle avait ete emplir une petite cruche au puits et l'avait
placee aupres du lit de sa mere avec deux verres, deux assiettes,
deux fourchettes; elle posa son ecuelle de riz a cote et s'assit
sur le plancher, les jambes repliees sous elle, sa jupe etalee
"Maintenant, dit-elle, comme une petite fille qui joue a la
poupee, nous allons faire la dinette, je vais te servir."
Malgre le ton enjoue qu'elle avait pris, c'etait d'un regard
inquiet qu'elle examinai
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