t sa mere, assise sur son matelas,
enveloppee d'un mauvais fichu de laine qui avait du etre autrefois
une etoffe de prix, mais qui maintenant n'etait plus qu'une
guenille, usee, decoloree.
"Tu as faim, toi? demanda la mere.
-- Je crois bien, il y a longtemps.
-- Pourquoi n'as-tu pas mange un morceau de pain?
-- J'en ai mange deux, mais j'ai encore une belle faim: tu vas
voir; si ca met en appetit de regarder manger les autres, la
platee sera trop petite."
La mere avait porte une fourchette de riz a sa bouche, mais elle
la tourna et retourna longuement sans pouvoir l'avaler.
-- Ca ne passe pas tres bien, dit-elle en reponse au regard de sa
fille.
-- Il faut te forcer: la seconde bouchee passera mieux, la
troisieme mieux encore."
Mais elle n'alla pus jusque-la, et apres la seconde elle reposa sa
fourchette sur son assiette:
"Le coeur me tourne, il vaut mieux ne pas persister.
-- Oh! maman!
-- Ne t'inquiete pas, ma cherie, ce n'est rien; on vit tres bien
sans manger quand on n'a pas d'efforts a faire; avec le repos
l'appetit reviendra."
Elle defit son fichu et s'allongea sur son matelas haletante, mais
si faible qu'elle fut elle ne perdit pas la pensee de sa fille, et
en la voyant les yeux gonfles de larmes elle s'efforca de la
distraire:
"Ton riz est tres bon, mange-le; puisque tu travailles tu dois te
soutenir; il faut que tu sois forte pour me soigner; mange, ma
cherie, mange.
-- Oui, maman, je mange; tu vois, je mange."
A la verite elle. devait faire effort pour avaler, mais peu a peu,
sous l'impression des douces paroles de sa mere, sa gorge se
desserra, et elle se mit a manger reellement; alors l'ecuelle de
riz disparut vite, tandis que sa mere la regardait avec un tendre
et triste sourire:
"Tu vois qu'il faut se forcer.
-- Si j'osais, maman!
-- Tu peux oser.
-- Je te repondrais que ce que tu me dis, c'etait cela meme que je
te disais.
-- Moi, je suis malade.
-- C'est pour cela que si tu voulais j'irais chercher un medecin;
nous sommes a Paris, et a Paris il y a de bons medecins.
-- Les bons medecins ne se derangent pas sans qu'on les paye.
-- Nous le payerions.
-- Avec quoi?
-- Avec notre argent; tu dois avoir sept francs dans ta robe et en
plus un florin que nous pouvons changer ici; moi j'ai dix-sept
sous. Regarde dans ta robe."
Cette robe noire, aussi miserable que la jupe de Perrine, mais
moins poudreuse, car elle avait ete battue, etait posee sur
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