fut une
augmentation de deux francs cinquante sur le prix offert, et
l'engagement que la roulotte ne serait depecee qu'apres leur
depart, de facon a pouvoir jusque-la l'habiter pendant la journee,
ce qui, imaginait-elle, vaudrait mieux pour sa mere que de rester
enfermee dans la maison.
Quand, sous la direction de Grain de Sel, elle visita les chambres
qu'il pouvait leur louer, elle vit combien la roulotte leur serait
precieuse, car, malgre l'orgueil avec lequel il parlait de ses
appartements, et qui n'avait d'egal que son mepris pour la
roulotte, elle etait si miserable, si puante, cette maison, qu'il
fallait leur detresse pour l'accepter.
A la verite, elle avait un toit et des murs qui n'etaient pas en
toile, mais sans aucune autre superiorite sur la roulotte: tout a
l'entour se trouvaient amoncelees les matieres dont Grain de Sel
faisait commerce et qui pouvaient supporter les intemperies:
verres casses, os, ferrailles: tandis qu'a l'interieur le couloir
et. des pieces sombres, ou les yeux se perdaient, contenaient
celles qui avaient besoin d'un abri: vieux papiers, chiffons,
bouchons, croutes de pain, bottes, savates, ces choses
innombrables, detritus de toutes sortes, qui constituent les
ordures de Paris; et de ces divers tas s'exhalaient d'acres odeurs
qui prenaient a la gorge.
Comme elle restait hesitante se demandant si sa mere ne serait pas
empoisonnee par ces odeurs, Grain de Sel la pressa:
"Depechez-vous, dit-il, les biffins vont rentrer; il faut que je
sois la pour recevoir et "triquer" ce qu'ils apportent.
-- Est-ce que le medecin connait ces chambres? demanda-t-elle.
-- Bien sur qu'il les connait; il est venu plus d'une fois a cote
quand il a soigne la Marquise."
Ce mot la decida: puisque le medecin connaissait ces chambres, il
savait ce qu'il disait en conseillant d'en prendre une; et
puisqu'une marquise, habitait l'une d'elles, sa mere pouvait bien
en habiter une autre.
"Cela vous coutera huit sous par jour, dit Grain de Sel, ajoutes
aux trois sous pour l'ane et aux six sous pour la roulotte.
-- Vous l'avez achetee?
-- Oui, mais puisque vous vous en servez, il est juste de la
payer,"
Elle ne trouva rien a repondre; ce n'etait pas la premiere fois
qu'elle se voyait ainsi ecorchee; bien souvent elle l'avait ete
plus durement encore dans leur long voyage, et elle finissait par
croire que c'est la loi de nature pour ceux qui ont, au detriment
de ceux qui n'ont pas.
IV
Perr
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