bonnet orne de rubans tricolores
aux couleurs du drapeau francais; et un grand bonhomme courbe en
deux, enveloppe dans un tablier de cuir si long et si large qu'il
semblait constituer son unique vetement. La femme aux rubans
tricolores etait une chanteuse des rues, lui dit le bonhomme au
tablier, et rien moins que la Marquise dont avait parle Grain de
Sel; tous les jours elle quittait le Champ Guillot avec un
parapluie rouge et une grosse canne dans laquelle elle le plantait
aux carrefours des rues ou aux bouts des ponts, pour chanter et
vendre a l'abri le repertoire de ses chansons. Quant au bonhomme
au tablier, c'etait, lui apprit la Marquise, un demolisseur de
vieilles chaussures, et du matin au soir il travaillait muet comme
un poisson, ce qui lui avait valu le nom de Pere la Carpe, sous
lequel on le connaissait; mais pour ne pas parler il n'en faisait
pas moins un tapage assourdissant avec son marteau.
Au coucher du soleil son emmenagement fut acheve, et elle put
alors amener sa mere qui, en apercevant les fleurs, eut un moment
de douce surprise:
"Comme tu es bonne pour ta maman, chere fille! dit-elle.
-- Mais c'est pour moi que je suis bonne, ca me rend si heureuse
de te faire plaisir!"
Avant la nuit il fallut mettre les fleurs dehors, et alors l'odeur
de la vieille maison se fit sentir terriblement, mais sans que la
malade osat s'en plaindre; a quoi cela eut-il servi, puisqu'elles
ne pouvaient pas quitter le Champ Guillot pour aller autre part?
Son sommeil fut mauvais, fievreux, trouble, agite, hallucine, et
quand le medecin vint le lendemain matin il la trouva plus mal, ce
qui lui fit changer le traitement et obligea Perrine a retourner
chez le pharmacien, qui cette fois lui demanda cinq francs. Elle
ne broncha pas et paya bravement; mais en revenant elle ne
respirait plus. Si les depenses continuaient ainsi, comment
gagneraient-elles le mercredi qui leur mettrait aux mains le
produit de la vente du pauvre Palikare? Si le lendemain le medecin
prescrivait une nouvelle ordonnance coutant cinq francs, ou plus,
ou trouverait-elle cette somme? Au temps ou avec ses parents elle
parcourait les montagnes, ils avaient plus d'une fois ete exposes
a la famine, et plus d'une fois aussi, depuis qu'ils avaient
quitte la Grece pour venir en France, ils avaient manque de pain.
Mais ce n'etait pas du tout la meme chose. Pour la famine dans les
montagnes, ils avaient toujours l'esperance, qui se realisait
souvent, de
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