tain temps, comme
elle voulut s'asseoir, une nouvelle defaillance se produisit.
"Vous voyez qu'il faut rester couchee, dit la Marquise sur le ton
du commandement, vous partirez demain, et tout de suite vous
prendrez une tasse de bouillon que je vais demander a La Carpe;
car c'est son vice a ce muet-la que le bouillon, comme le vin est
celui de monsieur notre proprietaire; hiver comme ete, il se leve
a cinq heures pour mettre son pot-au-feu, et fameux qu'il le fait!
il n'y a pas beaucoup de bourgeois qui en mangent d'aussi bon."
Sans attendre une reponse, elle entra chez leur voisin qui s'etait
remis au travail.
"Voulez-vous me donner une tasse de bouillon pour notre malade?"
demanda-t-elle.
Ce fut par un sourire qu'il repondit, et tout de suite il ota le
couvercle de son pot en terre qui bouillottait dans la cheminee
devant un petit feu de bois; alors comme le fumet du bouillon se
repandait dans la piece il regarda la Marquise, les yeux
ecarquilles, les narines dilatees avec une expression de beatitude
en meme temps que de fierte.
"Oui ca sent bon, dit-elle, et si ca pouvait sauver la pauvre
femme, ca la sauverait; mais -- elle baissa la voix, -- vous
savez, elle est bien mal; ca ne peut pas durer longtemps."
La Carpe leva les bras au Ciel.
"C'est bien triste pour cette petite."
La Carpe inclina la tete et etendit les bras par un geste qui
disait:
"Qu'y pouvons-nous?"
Et de fait, ce qu'ils pouvaient, ils le faisaient l'un et l'autre,
mais le malheur est chose si habituelle aux malheureux qu'ils ne
s'en etonnent pas, pas plus qu'ils ne s'en revoltent. Qui d'eux
n'a pas a souffrir en ce monde? Toi aujourd'hui, moi demain.
Quand le bol fut rempli, la Marquise l'emporta en trottinant pour
ne pas perdre une goutte de bouillon.
"Prenez ca, ma chere dame, dit-elle en s'agenouillant aupres du
matelas, et surtout ne bougez pas, entr'ouvrez seulement les
levres."
Delicatement, une cuilleree de bouillon lui fut versee dans la
bouche; mais, au lieu de passer, elle provoqua des nausees et une
nouvelle syncope qui se prolongea plus que les deux premieres.
Decidement le bouillon n'etait pas ce qui convenait, la Marquise
le reconnut et, pour qu'il ne fut pas perdu, elle obligea Perrine
a le boire.
"Vous aurez besoin de forces, ma petite, il faut vous soutenir."
N'ayant pas, avec son bouillon, qui pour elle etait le remede a
tous les maux, obtenu le resultat qu'elle attendait, la Marquise
se trouv
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