le
matelas et servait de couverture; sa poche exploree donna bien les
sept francs annonces et le florin d'Autriche.
"Combien cela fait-il en tout? demanda Perrine, je connais si mal
l'argent francais.
-- Je ne le connais guere mieux que toi."
Elles firent le compte, et en estimant le florin a deux francs
elles trouverent neuf francs quatre-vingt-cinq centimes.
"Tu vois que nous avons plus qu'il ne faut pour le medecin,
continua Perrine.
-- Il ne me guerirait pas par des paroles, il ordonnerait des
medicaments, comment les payer?
-- J'ai mon idee. Tu penses bien que quand je marche a cote de
Palikare, je ne passe pas tout mon temps a lui parler, quoiqu'il
aimerait cela; je reflechis aussi a toi, a nous, surtout a toi,
pauvre maman, depuis que tu es malade, a notre voyage, a notre
arrivee a Maraucourt. Est-ce que tu crois que nous pouvons nous y
montrer dans notre roulotte qui, si souvent, sur notre passage a
fait rire? Cela nous vaudrait-il un bon accueil?
-- Il est certain que meme pour des parents qui n'auraient pas de
fierte, cette entree serait humiliante.
-- Il vaut donc mieux qu'elle n'ait pas lieu; et puisque nous
n'avons plus besoin de la roulotte nous pouvons la vendre.
D'ailleurs a quoi nous sert-elle maintenant? Depuis que tu es
malade, personne n'a voulu se laisser photographier par moi; et
quand meme je trouverais des gens assez braves pour se fier a moi,
nous n'avons plus de produits. Ce n'est pas avec ce qui nous reste
d'argent que nous pouvons depenser trois francs pour un paquet de
developpement, trois francs pour un virage d'or et d'acetate, deux
francs pour une douzaine de glaces. Il faut la vendre.
-- Et combien la vendrons-nous?
-- Nous la vendrons toujours quelque chose: l'objectif est en bon
etat; et puis il y a le matelas...
-- Tout, alors?
-- Cela te fait de la peine?
-- Il y a plus d'un an que nous vivons dans cette roulotte, ton
pere y est mort, cela fait que si miserable qu'elle soit, la
pensee de m'en separer m'est douloureuse; de lui c'est tout ce qui
nous reste, et il n'est pas une seule de ces pauvres choses a
laquelle son souvenir ne soit attache."
Sa parole haletante s'arreta tout a fait, et sur son visage
decharne des larmes coulerent sans qu'elle put les retenir.
"Oh! maman, s'ecria Perrine, pardonne-moi de t'avoir parle de
cela.
-- Je n'ai rien a te pardonner, ma cherie; c'est le malheur de
notre situation que nous ne puissions, ni toi ni moi,
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