ieme fois, une voix sortit de la voiture,
appelant:
"Perrine!"
Aussitot sur pied, elle souleva un rideau et entra dans la
voiture, ou une femme etait couchee sur un matelas si mince qu'il
semblait colle au plancher.
"As-tu besoin de moi, maman?
-- Que fait donc Palikare?
-- Il mange le foin de la voiture qui nous precede.
-- Il faut l'en empecher.
-- Il a faim.
-- La faim ne nous permet pas de prendre ce qui ne nous appartient
pas; que repondrais-tu au charretier de cette voiture s'il se
fachait?
-- Je vais le tenir de plus pres.
-- Est-ce que nous n'entrons pas bientot dans Paris?
-- Il faut attendre pour l'octroi.
-- Longtemps encore?
-- Tu souffres davantage?
-- Ne t'inquiete pas; l'etouffement du renferme; ce n'est rien",
dit-elle d'une voix haletante, sifflee plutot qu'articulee.
C'etaient la les paroles d'une mere qui veut rassurer sa fille; en
realite elle se trouvait dans un etat pitoyable, sans respiration,
sans force, sans vie, et, bien que n'ayant pas depasse vingt-six
ou vingt-sept ans, au dernier degre de la cachexie; avec cela des
restes de beaute admirables, la tete d'un pur ovale, des yeux doux
et profonds, ceux meme de sa fille, mais avives par le souffle de
la maladie.
"Veux-tu que je te donne quelque chose? demanda Perrine.
-- Quoi?
-- Il y a des boutiques, je peux t'acheter un citron; je
reviendrais tout de suite.
-- Non. Gardons notre argent; nous en avons si peu! Retourne pres
de Palikare et fais en sorte de l'empecher de voler ce foin.
-- Cela n'est pas facile.
-- Enfin veille sur lui."
Elle revint a la tete de l'ane, et comme un mouvement se
produisait, elle le retint de facon qu'il restat assez eloigne de
la voiture de foin pour ne pas pouvoir l'atteindre.
Tout d'abord il se revolta, et voulut avancer quand meme, mais
elle lui parla doucement, le flatta, l'embrassa sur le nez; alors
il abaissa ses longues oreilles avec une satisfaction manifeste et
voulut bien se tenir tranquille.
N'ayant plus a s'occuper de lui, elle put s'amuser a regarder ce
qui se passait autour d'elle: le va-et-vient des bateaux-mouches
et des remorqueurs sur la riviere; le dechargement des peniches au
moyen des grues tournantes qui allongeaient leurs grands bras de
fer au-dessus d'elles et prenaient, comme a la main, leur
cargaison pour la verser dans des wagons quand c'etaient des
pierres, du sable ou du charbon, ou les aligner le long du quai
quand c'etaient de
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