a l'ancre. Une vive discussion s'etait elevee sur la question
de savoir si on pouvait faire entrer dans le port d'Alexandrie les
vaisseaux de 80 et de 120 canons. Il n'y avait pas de doute pour les
autres; mais pour les deux de 80 et pour celui de 120, il fallait un
allegement qui leur fit gagner trois pieds d'eau. Pour cela il etait
necessaire de les desarmer ou de construire des demi-chameaux. L'amiral
Brueys ne voulut pas faire entrer son escadre dans le port a cette
condition. Il pensait qu'oblige a de pareilles precautions pour ses
trois vaisseaux les plus forts, il ne pourrait jamais sortir du port
en presence de l'ennemi, et qu'il pourrait ainsi etre bloque par une
escadre tres-inferieure en force; il se decida a partir pour Corfou.
Mais etant fort attache au general Bonaparte, il ne voulait pas mettre
a la voile sans avoir des nouvelles de son entree au Caire et de son
etablissement en Egypte. Le temps qu'il employa, soit a faire sonder les
passes d'Alexandrie, soit a attendre des nouvelles du Caire, le perdit,
et amena un des plus funestes evenemens de la revolution et l'un de ceux
qui, a cette epoque, ont le plus influe sur les destinees du monde.
L'amiral Brueys s'etait embosse dans la rade d'Aboukir. Cette rade est
un demi-cercle tres-regulier. Nos treize vaisseaux formaient une ligne
demi-circulaire parallele au rivage. L'amiral, pour assurer sa ligne
d'embossage, l'avait appuyee d'un cote vers une petite ile, nommee
l'ilot d'Aboukir. Il ne supposait pas qu'un vaisseau put passer entre
cet ilot et sa ligne pour la prendre par derriere; et, dans cette
croyance il s'etait contente d'y placer une batterie de douze,
seulement pour empecher l'ennemi d'y debarquer. Il se croyait tellement
inattaquable de ce cote, qu'il y avait place ses plus mauvais vaisseaux.
Il craignait davantage pour l'autre extremite de son demi-cercle. De
ce cote, il croyait possible que l'ennemi passat entre le rivage et sa
ligne d'embossage; aussi y avait-il mis ses vaisseaux les plus forts
et les mieux commandes. De plus, il etait rassure par une circonstance
importante, c'est que cette ligne etant au midi, et le vent venant
du nord, l'ennemi qui voudrait attaquer par ce cote aurait le vent
contraire, et ne s'exposerait pas sans doute a combattre avec un pareil
desavantage.
Dans cette situation, protege de sa gauche par un ilot, qu'il croyait
suffisant pour fermer la rade, et vers sa droite par ses meilleurs
vaisseaux et par le vent,
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