seaux engages,
_le Franklin_, _le Tonnant_, _le Peuple-Souverain_, _le Spartiate_,
_l'Aquilon_, soutinrent le feu toute la nuit. Il etait temps encore
pour notre droite de lever l'ancre, et de venir a leur secours. Nelson
tremblait que cette manoeuvre ne fut executee; il etait si maltraite
qu'il n'aurait pu soutenir l'attaque. Cependant Villeneuve mit enfin a
la voile, mais pour se retirer, et pour sauver son aile qu'il ne croyait
pas pouvoir exposer avec avantage contre Nelson. Trois de ses vaisseaux
se jeterent a la cote; il se sauva avec les deux autres et deux
fregates, et fit voile vers Malte. Le combat avait dure plus de quinze
heures. Tous les equipages attaques avaient fait des prodiges de valeur.
Le brave capitaine _Du Petit-Thouars_ avait deux membres emportes; il se
fit apporter du tabac, resta sur son banc de quart, et, comme Brueys,
attendit d'etre emporte par un boulet de canon. Toute notre escadre,
excepte les vaisseaux et les deux fregates emmenes par Villeneuve, fut
detruite. Nelson etait si maltraite qu'il ne put pas poursuivre les
vaisseaux en fuite.
Telle fut la celebre bataille navale d'Aboukir, la plus desastreuse que
la marine francaise eut encore soutenue, et celle dont les consequences
militaires devaient etre les plus funestes. La flotte qui avait porte
les Francais en Egypte, qui pouvait les secourir ou les recruter, qui
devait seconder leurs mouvemens sur les cotes de Syrie, s'ils en avaient
a executer, qui devait imposer a la Porte, la forcer a se payer de
mauvaises raisons, et l'obliger a souffrir l'invasion de l'Egypte, qui
devait enfin, en cas de revers, ramener les Francais dans leur patrie,
cette flotte etait detruite. Les vaisseaux des Francais etaient brules,
mais ils ne les avaient pas brules eux-memes, ce qui etait bien
different pour l'effet moral. La nouvelle de ce desastre circula
rapidement en Egypte, et causa un instant de desespoir a l'armee.
Bonaparte recut cette nouvelle avec un calme impassible. "Eh bien!
dit-il, il faut mourir ici, ou en sortir grands comme les anciens." Il
ecrivit a Kleber: "Ceci nous obligera a faire de plus grandes choses que
nous n'en voulions faire. Il faut nous tenir prets." La grande ame de
Kleber etait digne de ce langage: "Oui, repondit Kleber, il faut faire
de grandes choses; _je_ prepare mes facultes_." Le courage de ces grands
hommes soutint l'armee, et en retablit le moral. Bonaparte chercha a
distraire ses soldats par differentes expeditions
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