rai tout, je me contenterai de l'amitie, je ne me
plaindrai de rien; mais laisse-moi verser dans ton sein quelques larmes
ameres que le monde ne verra pas, et que Fernande, surtout, n'aura pas
la douleur d'ajouter aux siennes. Six mois d'amour, c'est bien peu!
encore combien de jours, parmi les derniers, ont ete empoisonnes! Si
c'est la volonte du ciel, soit. Je suis pret a la fatigue et a la
douleur; mais, encore une fois, c'est perdre bien vite une felicite au
sein de laquelle je me flattais de rester enivre plus longtemps.
Mais de quoi ai-je a me plaindre? je savais bien que Fernande etait
une enfant, que son age et son caractere devaient lui inspirer des
sentiments et des pensees que je n'ai plus; je savais que je n'aurais ni
le droit ni la volonte de lui en faire un crime. J'etais prepare a tout
ce qui m'arrive; je ne me suis trompe que sur un point: la duree de
notre illusion. Les premiers transports de l'amour sont si violents et
si sublimes, que tout se range a leur puissance; toutes les difficultes
s'aplanissent, tous les germes de dissension se paralysent, tout marche
au gre de ce sentiment, qu'on appelle avec raison l'ame du monde, et
dont on aurait du faire le dieu de l'univers; mais quand il s'eteint,
toute la nudite de la vie reelle reparait, les ornieres se creusent
comme des ravins, les asperites grandissent comme des montagnes.
Voyageur courageux, il faut marcher sur un chemin aride et perilleux
jusqu'au jour de la mort; heureux celui qui peut esperer de ressentir un
nouvel amour! Dieu m'a longtemps beni, longtemps il m'a donne la faculte
de guerir et de renouveler mon coeur a celle flamme divine, mais j'ai
fait mon temps, je suis arrive a mon dernier tour de roue: je ne dois
plus, je ne puis plus aimer. Je croyais du moins que ce dernier amour
rechaufferait les dernieres annees de la jeunesse de mon coeur et les
prolongerait davantage. Je n'ai pas cesse d'aimer encore; je serais
encore pret, si Fernande pouvait calmer ses agitations et reparer
d'elle-meme le mal qu'elle nous a fait; a oublier ces orages et a
retourner a l'enivrement des premiers jours; mais je ne me flatte pas
que ce miracle puisse s'operer en elle: elle a deja trop souffert. Avant
peu elle detestera son amour; elle en a fait un tourment, un cilice,
qu'elle porte encore par enthousiasme et par devouement. Ces choses-la
sont des reves de jeune femme: le devouement tue l'amour et le change
en amitie. Eh bien, l'amitie nous restera; j'acc
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