se trouvaient les barils d'eau. Alors, tenant en
main son pistolet, il cria aux passagers d'une voix forte:
--Arriere, insenses que vous etes! Vous voulez faire au _Jonas_ le meme
sort qu'au navire portugais? Vous demandez de l'eau ou la mort? De
l'eau, vous n'en aurez pas; mais la mort sur-le-champ, si l'un de vous
ose s'approcher de nous a deux pas. Arriere, sur votre vie! ou les
balles vont faire justice de votre criminel aveuglement!
Les passagers reculerent jusqu'a la distance designee; ils murmuraient
encore et jetaient des regards flamboyants sur le capitaine; mais la vue
des marins qui, le revolver au poing et le poignard aux dents,
semblaient prets a commencer une sanglante tuerie, refroidit un peu leur
rage et les fit hesiter. Cependant, les plus exasperes s'etaient reunis
pres de la proue, ou ils s'excitaient les uns les autres, et
deliberaient pour savoir comment on attaquerait le capitaine. Il y en
avait meme trois ou quatre qui avaient tire les leviers hors des treuils
ou s'enroulaient les cables et qui brandissaient ces effroyables massues
au-dessus de leurs tetes. Encore une minute et le pont du _Jonas_ allait
se changer en une mare de sang.
En ce moment, un cri d'etonnement s'echappa de la poitrine d'un vieux
matelot; il montra du doigt en tremblant l'horizon de la mer et s'ecria:
--Capitaine, voyez! voyez la-bas au sud-ouest!
--Ne detournez pas les yeux de ces furieux! commanda le capitaine a ses
hommes.
Il dirigea rapidement sa lunette d'approche vers le point de l'horizon
designe, et poussa egalement une exclamation de joie; il agita son
chapeau en l'air, et cria d'une voix qu'on entendit distinctement aux
deux extremites du navire:
--Hourra! hourra! delivrance! Dieu nous envoie de l'eau... de l'eau et
du vent!
A ces mots, un sourire etrange et convulsif detendit les traits des
passagers, comme s'ils venaient d'etre subitement atteints de folie;
mais les couteaux disparurent, les leviers retomberent sur le pont; un
pleura, on dansa, on embrassa les matelots, qui s'etaient rapproches et
montraient a tous avec transport un petit nuage noir qui s'etait leve
sur l'horizon et qui grandissait avec rapidite. A la certitude de cette
delivrance inesperee, un grand nombre se jeterent a genoux et leverent
les mains vers le ciel en signe de reconnaissance.
L'heureuse nouvelle se repandit instantanement jusqu'au fond du navire.
Les malades meme, ceux que la mort tenait deja embrasses, semblaien
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