r Donat d'une terreur inexprimable. Peut-etre
croyait-il qu'il y avait reellement des lions au fond du navire; il
regardait le capitaine, tremblant et stupefait, comme s'il croyait avoir
mal compris; mais lorsqu'il se vit empoigne rudement par les matelots,
il se mit a sangloter tout haut, et se laissa tomber a genoux devant le
capitaine, les mains tendues et les yeux remplis de larmes.
Les deux amis s'efforcerent de flechir le juge severe. Victor Roozeman,
encore pale d'indignation, pretendait qu'on allait commettre une criante
injustice, et il voulait faire comprendre au capitaine qu'on avait
tourmente et opprime des le premier jour le pauvre garcon. Jean Creps,
au contraire, s'efforcait de presenter l'affaire comme insignifiante, et
demandait, en termes conciliants et senses, le pardon de Donat, qui ne
lui en montrait aucune reconnaissance, parce qu'il le faisait passer
pour un imbecile et un grand lourdaud.
Soit que leurs paroles fissent quelque effet sur l'humeur brutale du
capitaine, soit que l'attitude humble de Donat l'eut apaise, il dit aux
matelots:
--Laissez-le aller.
Le jeune paysan, se voyant en liberte, s'approcha de Victor, lui prit la
main, la baisa, et dit avec une larme dans les yeux:
--Monsieur Roozeman, je vous remercie mille fois de votre bonte. Pour
vous je me jetterais au feu.
Mais le capitaine le tira par le bras dans l'entre-pont, le changea de
gamelle, lui donna des Allemands pour compagnons, et dit tres-durement
en s'en allant:
--Fais en sorte que je n'entende jamais parler de toi, perturbateur, ou
tu t'en repentiras.
VI
L'EQUATEUR
_Le Jonas_ etait en mer depuis quatre semaines, et approchait avec
rapidite de l'equateur, cet endroit du globe ou le soleil darde le plus
vivement ses rayons. L'eternelle viande salee commencait a degouter les
passagers; toutes les provisions etaient epuisees. Il y avait de pauvres
diables qui se seraient traines sur leurs deux genoux pour obtenir un
cigare ou une pipe de tabac. Le litre d'eau qu'on distribuait par jour a
chacun devint insuffisant pour un grand nombre de passagers, a cause de
la grande chaleur et de la ration, qui se composait exclusivement de
salaison et de biscuits secs; il y en eut qui echangerent des objets de
prix contre une simple chopine d'eau.
On arriva enfin sous l'equateur. La, _le Jonas_ fut arrete par un de ces
calmes persistants que les gens de mer craignent plus que la plus
violente tempete. La mer et
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