ne pas monter trop tot au ciel. Je vais
vous dire comment je m'y prends. Le matin, je recois ma ration d'eau,
n'est-ce pas? Vous croyez que je me depeche de boire, comme les autres?
Non, je fourre la clef de ma malle dans ma bouche, puis je la mords sans
discontinuer et je fais croire ainsi a mon estomac qu'il boit, jusqu'a
ce que je ne puisse plus supporter la soif. Alors je bois un tant soit
peu, et je me remets a mordiller ma clef. Je ne bois pas de genievre, je
ne fume pas. A midi, je ne mange pas de viande, elle est salee; et je me
nourris aussi peu que possible, car la soif vient en mangeant. Aussi je
suis toujours moitie affame, moitie etouffe; mais il est plus facile de
supporter la moitie de chaque mal que d'en souffrir un tout a fait.
VII
LES REQUINS
Les jours se succedaient sans qu'un nuage se montrat a l'horizon; le
soleil restait egalement brulant et l'air egalement lourd.
Il arriva, un matin, que beaucoup de passagers resterent couches dans
leurs cabines, a moitie etourdis et se plaignant de n'avoir plus la
force de se mouvoir.
La nouvelle courut soudain sur le navire qu'une maladie contagieuse
avait eclate dans l'entre-pont. Les uns pretendaient que c'etait le
_typhus_, les autres le _cholera_ et d'autres la _fievre jaune_. Cette
nouvelle fit trembler et palir tout le monde, car une seule de ces
maladies est, en effet, suffisante pour depeupler en peu de temps tout
un vaisseau, surtout quand une centaine de personnes demeurent ensemble
sous un ciel de plomb dans un si petit espace.
Tous les passagers fremissaient encore sous l'impression de cette
terrible nouvelle, lorsque Donat Kwik, qui, penche par-dessus le bord,
s'amusait a jeter quelques petits objets dans la mer, se mit a crier
tres-fort, comme s'il avait vu quelque chose d'extraordinaire.
--Une baleine! deux baleines! s'ecria-t-il en courant vers Roozeman.
Elles ont une gueule comme un four, et des dents! au moins cent, qui
grincent et craquent comme une machine a battre le ble. Je leur ai jete
un vieux soulier egare la; elles l'ont croque et avale comme une amande!
Pendant un voyage si douloureux, si long, le moindre incident est une
distraction. Aussi, tous ceux dont l'attention avait ete eveillee par le
cri de Donat coururent au bord du navire et regarderent dans la mer,
unie et transparente comme un miroir. Ils apercurent, en effet, non pas
deux, mais six ou huit poissons d'une grandeur extraordinaire; quoi
qu'on leur j
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