clairat de nouveau le pont du
_Jonas_, les monstres marins auraient deja englouti son cadavre!
Cette pensee remplit Roozeman d'un desespoir indescriptible; il se jeta
en pleurant sur son ami, lui adressant mille paroles consolantes,
auxquelles il ne croyait pas lui-meme. Donat tenait une main du malade
et l'arrosait de larmes silencieuses.
Jean s'efforcait de lutter contre son mal et de leur faire croire qu'il
avait encore du courage et qu'il n'etait pas si malade qu'on se le
figurait; mais bientot ses dernieres forces l'abandonnerent, il poussa
un soupir effrayant et se laissa tomber dans les bras de son ami en
criant d'une voix dechirante:
--De l'eau! de l'eau! de l'eau! Ma vie pour une gorgee d'eau! L'eau
seule peut me guerir!
En entendant ce cri, Victor sauta debout, courut comme en delire vers le
capitaine et tomba a ses pieds les bras tendus. Il pria, il pleura, il
se tordit convulsivement les mains, il offrit toute une poignee de
billets de banque, tout ce qu'il possedait, pour un demi-litre d'eau.
Mais le capitaine resta impassible et muet, comme s'il n'avait pas
apercu le jeune homme qui se trainait a ses pieds et lui demandait la
vie de son pauvre ami.
Victor reitera ses supplications desesperees aupres du pilote avec le
meme insucces... Un cri de rage lui echappa; il s'elanca vers un baril
d'eau et y porta la main. Trois ou quatre matelots le menacerent de
leurs couteaux, et comme Victor, aveugle, ne retirait meme pas sa
poitrine sous la froide impression de l'acier, ils sauterent tous
ensemble sur lui et le jeterent loin d'eux sur le pont.
Convaincu qu'il n'y avait pas de salut possible, le pauvre Roozeman
s'arrachait deja les cheveux et se dechirait la poitrine, lorsqu'un
marin lui offrit un peu d'eau, moins de la moitie d'un demi-litre, en
echange de sa montre d'or.
Avec quelle folle joie Victor sacrifia le cadeau cheri de sa mere, pour
prolonger la vie de son ami, ne fut-ce que d'une heure! Il courut tout
joyeux vers Jean Creps, lui porta la bouteille aux levres et lui versa
le breuvage rafraichissant dans la bouche, en riant d'un rire nerveux.
Les forces semblerent, en effet, revenir au malade; il pria son ami de
vouloir bien le conduire au lit, parce que tous ses membres etaient
brises et qu'il eprouvait un besoin irresistible de repos.
Pendant cette nuit, Victor passa des heures d'une anxiete mortelle.
Assis, avec Donat, pres du lit de son ami souffrant, il entendait sortir
sans ces
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