humeur, mais pensif. Ce que lui avait
dit Derigny lui revenait a la memoire, et son bon coeur lui faisait
entrevoir la verite. Il se proposa d'en causer a fond avec lui quand il
serait etabli a Gromiline, et il chassa les pensees qui l'ennuyaient,
avec une aile de volaille et une demi-bouteille de bordeaux.
II
ARRIVEE A GROMILINE.
Apres une journee fatigante, ennuyeuse, animee seulement par quelques
demi-coleres du general, on arriva, a dix heures du soir, au chateau de
Gromiline. Plusieurs hommes barbus se precipiterent vers la portiere et
aiderent le general, engourdi, a descendre de voiture; ils baiserent ses
mains en l'appelant Batiouchka (pere); les femmes et les enfants vinrent
a leur tour, en ajoutant des exclamations et des protestations.
Le general saluait, remerciait, souriait. Mme Derigny et les enfants
suivaient de pres. Derigny avait voulu retirer de la voiture les effets
du general, mais une foule de mains s'etaient precipitees pour faire la
besogne. Derigny les laissa faire et rejoignit le groupe, autour duquel
se bousculaient les femmes et les enfants de la maison, repetant a voix
basse Frantsousse (Francais) et examinant avec curiosite la famille
Derigny.
Le general leur dit quelques mots, apres lesquels deux femmes coururent
dans un corridor sur lequel donnaient les chambres a coucher; deux
autres se precipiterent dans un passage qui menait a l'office et aux
cuisines.
"Mon ami, dit le general a Derigny, accompagnez votre femme et vos
enfants dans les chambres que je vous ai fait preparer par Stepane; on
vous apportera votre souper; quand vous serez bien installes, on vous
menera dans mon appartement, et nous prendrons nos arrangements pour
demain et les jours suivants.
--A vos ordres, mon general", repondit Derigny. Et il suivit un
domestique auquel le general avait donne ses instructions en russe.
Les enfants, a moitie endormis a l'arrivee, s'etaient eveilles tout a
fait par le bruit, la nouveaute des visages, des costumes.
"C'est drole, dit Paul a Jacques, que tous les hommes ici soient des
sapeurs!"
Jacques: "Ce ne sont pas des sapeurs: ce sont les paysans du general
Paul: "Mais pourquoi sont-ils tous en robe de chambre?"
Jacques: "C'est leur maniere de s'habiller; tu en as vu tout le long
de la route; ils etaient tous en robe de chambre de drap bleu avec des
ceintures rouges. C'est tres joli, bien plus joli que les blouses de
chez nous."
Ils arriverent aux chambres qu'
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