ans la matinee, excepte
Derigny, qui conservait ses habitudes militaires et qui etait pres du
general a l'heure accoutumee. Son exactitude plut au general.
"Mon ami, lui dit-il, aussitot que je serai pret et que j'aurai dejeune,
je vous ferai voir le chateau, le parc, le village, les bois, tout
enfin."
Derigny: "Je vous remercie, mon general: je serai tres content de
connaitre Gromiline, qui me parait etre une superbe propriete."
Le general, d'un air insouciant: "Oui, pas mal, pas mal; vingt mille
hectares de bois, dix mille de terre a labour, vingt mille de prairie.
Oui, c'est une jolie terre: quatre mille paysans, deux cents chevaux,
trois cents vaches, vingt mille moutons et une foule d'autres betes.
Oui, c'est bien."
Derigny souriait.
Le general: "Pourquoi riez-vous? Croyez. vous que je sois un menteur,
que j'exagere, que j'invente?"
Derigny: "Oh non! mon general! Je souriais de l'air indifferent avec
lequel vous comptiez vos richesses."
Le general: "Et comment voulez-vous que je dise? Faut-il que je rie
comme un sot, que je cabriole comme vos enfants, que je fasse semblant
de me croire pauvre?"
Derigny: "Du tout, mon general; vous avez dit on ne peut mieux, et c'est
moi qui suis un sot d'avoir ri."
Le general: "Non, monsieur, vous n'etes pas un sot, et vous savez tres
bien que vous ne l'etes pas; ce que vous en dites, c'est pour me calmer
comme on calme un fou furieux ou un enfant gate. Je ne suis pas un fou,
monsieur, ni un enfant, monsieur; j'ai soixante-trois ans, et je n'aime
pas qu'on me flatte. Et je ne veux pas qu'un homme comme vous se donne
tort pour excuser un sot comme moi. Oui, monsieur, vous n'avez pas
besoin de faire une figure de l'autre monde et de sauter comme un homme
pique de la tarentule. Je suis un sot; c'est moi qui vous le dis; et je
vous defends de me contredire; et je vous ordonne de me croire. Et vous
etes un homme de sens, d'esprit, de coeur et de devouement. Et je veux
encore que vous me croyiez, et que vous ne me preniez pas pour un
imbecile qui ne sait pas juger les hommes, ni se juger lui-meme.
--Mon general, dit Derigny d'une voix emue, si je ne vous dis pas tout
ce que j'ai dans le coeur de reconnaissance et de respectueuse affection,
c'est parce que je sais combien vous detestez les remerciements et les
expansions..."
Le general: "Oui, oui, mon ami; je sais, je sais. Dites qu'on me serve
ici mon dejeuner et allez vous-meme manger un morceau."
Derigny all
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