oreilles, sa joue gonflee affreusement, ses contractions musculaires
du facies, ses yeux en larmes et l'embobinement de sa tete fievreuse,
dechaine le rire, irresistiblement, et plutot que tout autre brule vif?
Eh bien! voila mon crime: Dupont riait!
Ce voyageur n'etait certainement pas mechant, et peut-etre
compatissait-il; mais il riait, il riait malgre lui, et, plus je
gemissais, plus je me roulais sur les banquettes, plus je jurais,
sacrais, maudissais le sort, plus son hilarite croissait et le secouait
de la tete aux pieds. En sortant de Chartres, il etait arrive au comble
de l'acces; il s'etait cramponne a la traverse du filet, et il se
tordait litteralement dans les convulsions. C'etait le moment ou il
venait de se produire dans ma molaire un phenomene de douleur telle, que
je ne saurais le comparer qu'a une eruption du Vesuve.
"Alors ... mais je ne sais plus rien. Je ne vois plus. La sensation me
reste d'avoir bondi comme un tigre, d'avoir empoigne quelque chose de
gros, de mou et de cylindrique, et d'avoir serre frenetiquement, avec
une force colossale. Voila tout. A present, je suis gueri, vous avez la
molaire sous les yeux, vous pouvez vous rendre compte. Moi, je ne
le peux pas. Je pleure Dupont et je le hais encore. S'il y a crime,
jugez-moi. Prenez ma tete et qu'on la tranche. On doit moins souffrir.
Et ceci dit, il se tut. La deliberation du jury fut tres breve, pas un
des jures n'alignait l'honneur de sa dentition complete. Martin fut
acquitte a l'unanimite, moins une voix, celle du president d'age qui,
depuis quinze ans, mandibulait d'un ratelier. Il ne se souvenait plus,
gateux du reste.
LE COUP DE LA BELLE-MERE
Menace de l'une de ces revendications auxquelles tout ecrivain est
en butte lorsqu'il affuble d'une patronymie declaree au Bottin le
personnage le plus fictif de comedie ou de roman, j'estime sage d'en
revenir au systeme du vieux repertoire--ou de La Bruyere--et d'appeler
paisiblement: Eraste, Clitandre, Araminte et Belise les types, comme on
dit aujourd'hui, de ce conte philosophique.
Freres de pere et de mere, Clitandre, l'aine, et le cadet, Eraste,
etaient unis a souhait, et ils s'aimaient exemplairement avant le
mariage de ce dernier avec la charmante Araminte, fille de Belise. Ils
vivaient alors ensemble dans un meme appartement suburbain, a Levallois,
y mettant en commun leurs ennuis, leurs plaisirs et leurs ressources,
et, jeunes, ils attendaient la fortune. Or, ce fu
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