nemis.
-- Eh! que me font mes amis, ma patrie, mon pere? reprit Andry, en
relevant fierement le front et redressant sa taille droite et
svelte comme un jonc du Dniepr. Si tu crois cela, voila ce que je
vais te dire: je n'ai personne, personne, personne, repeta-t-il
obstinement, en faisant ce geste par lequel un Cosaque exprime un
parti pris et une volonte irrevocable. Qui m'a dit que l'Ukraine
est ma patrie? Qui me l'a donnee pour patrie? La patrie est ce que
notre ame desire, revere, ce qui nous est plus cher que tout. Ma
patrie, c'est toi, Et cette patrie-la, je ne l'abandonnerai plus
tant que je serai vivant, je la porterai dans mon coeur. Qu'on
vienne l'en arracher!
Immobile un instant, elle le regarda droit aux yeux, et soudain,
avec toute l'impetuosite dont est capable une femme qui ne vit que
par les elans du coeur, elle se jeta a son cou, le serra dans ses
bras, et se mit a sangloter. Dans ce moment la rue retentit de
cris confus, de trompettes et de tambours. Mais Andry ne les
entendait pas; il ne sentait rien autre chose que la tiede
respiration de la jeune fille qui lui caressait la joue, que ses
larmes qui lui baignaient le visage, que ses longs cheveux qui lui
enveloppaient la tete d'un reseau soyeux et odorant.
Tout a coup la Tatare entra dans la chambre en jetant des cris de
joie.
-- Nous sommes sauves, disait-elle toute hors d'elle-meme; les
notres sont entres dans la ville, amenant du pain, de la farine,
et des Zaporogues prisonniers.
Mais ni l'un ni l'autre ne fit attention a ce qu'elle disait. Dans
le delire de sa passion, Andry posa ses levres sur la bouche qui
effleurait sa joue, et cette bouche ne resta pas sans reponse.
Et le Cosaque fut perdu, perdu pour toute la chevalerie cosaque.
Il ne verra plus ni la _setch_, ni les villages de ses peres, ni
le temple de Dieu. Et l'Ukraine non plus ne reverra pas l'un des
plus braves de ses enfants. Le vieux Tarass s'arrachera une
poignee de ses cheveux gris, et il maudira le jour et l'heure ou
il a, pour sa propre honte, donne naissance a un tel fils!
CHAPITRE VII
Le _tabor_ des Zaporogues etait rempli de bruit et de mouvement.
D'abord personne ne pouvait exactement expliquer comment un
detachement de troupes royales avait penetre dans la ville. Ce fut
plus tard qu'on s'apercut que tout le _kouren_ de Pereiaslav,
place devant une des portes de la ville, etait reste la veille
ivre mort; il n'etait donc pas etonnant que la moitie des Cos
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