barbe du Salomon n'etait composee
que de quinze poils; encore ne poussaient-ils que du cote gauche.
Son visage portait les traces de tant de coups, recus pour prix de
ses exploits, qu'il en avait sans doute perdu le compte depuis
longtemps, et s'etait habitue a les regarder comme des taches de
naissance.
Mardochee s'eloigna bientot avec ses compagnons, remplis
d'admiration pour sa sagesse. Boulba demeura seul. Il etait dans
une situation etrange, inconnue; et pour la premiere fois de sa
vie, il ressentait de l'inquietude; son ame eprouvait une
excitation febrile. Ce n'etait plus l'ancien Boulba, inflexible,
inebranlable, puissant comme un chene; Il etait devenu
pusillanime; Il etait faible maintenant. Il frissonnait a chaque
leger bruit, a chaque nouvelle figure de juif qui apparaissait au
bout de la rue. Il demeura toute la journee dans cette situation;
il ne but, ni ne mangea, et ses yeux ne se detacherent pas un
instant de la petite fenetre qui donnait dans la rue. Enfin le
soir, assez tard, arriverent Mardochee et Yankel. Le coeur de
Tarass defaillit.
-- Eh bien! avez-vous reussi? demanda-t-il avec l'impatience d'un
cheval sauvage.
Mais, avant que les juifs eussent rassemble leur courage pour lui
repondre, Tarass avait deja remarque qu'il manquait a Mardochee sa
derniere tresse de cheveux, laquelle, bien qu'assez malpropre,
s'echappait autrefois en boucle par dessous sa cape. Il etait
evident qu'il voulait dire quelque chose; mais il balbutia d'une
maniere si etrange que Tarass n'y put rien comprendre. Yankel
aussi portait souvent la main a sa bouche, comme s'il eut souffert
d'une fluxion.
-- O cher seigneur! dit Yankel, c'est tout a fait impossible a
present. Dieu le voit! c'est impossible! Nous avons affaire a un
si vilain peuple qu'il faudrait lui cracher sur la tete. Voila
Mardochee qui dira la meme chose. Mardochee a fait ce que nul
homme au monde ne ferait; mais Dieu n'a pas voulu qu'il en fut
ainsi. Il y a trois mille hommes de troupes dans la ville, et
demain on les mene tous au supplice.
Tarass regarda les juifs entre les deux yeux, mais deja sans
impatience et sans colere.
-- Et si ta seigneurie veut une entrevue, il faut y aller demain
de bon matin, avant que le soleil ne soit leve. Les sentinelles
consentent, et j'ai la promesse d'un _Leventar_. Seulement je
desire qu'ils n'aient pas de bonheur dans l'autre monde. _Ah weh
mir!_ quel peuple cupide! meme parmi nous il n'y en a pas de
par
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