n'aurait
pas voulu entendre les sanglots et la desolation d'une faible
mere, ou les cris insenses d'une epouse, s'arrachant les cheveux
et meurtrissant sa blanche poitrine; mais il aurait voulu voir un
homme ferme, qui le rafraichit par une parole sensee et le
consolat a sa derniere heure. Sa constance succomba, et il s'ecria
dans l'abattement de son ame:
-- Pere! ou es-tu? entends-tu tout cela?
-- Oui, j'entends!
Ce mot retentit au milieu du silence universel, et tout un million
d'ames fremirent a la fois. Une partie des gardes a cheval
s'elancerent pour examiner scrupuleusement les groupes du peuple.
Yankel devint pale comme un mort, et lorsque les cavaliers se
furent un peu eloignes de lui, il se retourna avec terreur pour
regarder Boulba; mais Boulba n'etait plus a son cote. Il avait
disparu sans laisser de trace.
CHAPITRE XII
La trace de Boulba se retrouva bientot. Cent vingt mille hommes de
troupes cosaques parurent sur les frontieres de l'Ukraine. Ce
n'etait plus un parti insignifiant, un detachement venu dans
l'espoir du butin, ou envoye a la poursuite des Tatars. Non; la
nation entiere s'etait levee, car sa patience etait a bout. Ils
s'etaient leves pour venger leurs droits insultes, leurs moeurs
ignominieusement tournees en moquerie, la religion de leurs peres
et leurs saintes coutumes outragees, les eglises livrees a la
profanation; pour secouer les vexations des seigneurs etrangers,
l'oppression de l'union catholique, la honteuse domination de la
juiverie sur une terre chretienne, en un mot pour se venger de
tous les griefs qui nourrissaient et grossissaient depuis
longtemps la haine sauvage des Cosaques.
L'_hetman_ Ostranitza, guerrier jeune, mais renomme par son
intelligence, etait a la tete de l'innombrable armee des Cosaques.
Pres de lui se tenait Gouma, son vieux compagnon, plein
d'experience. Huit _polkovniks_ conduisaient des _polk_s de douze
mille hommes. Deux _iesaoul_-generaux et un _bountchoug_, ou
general a queue, venaient a la suite de l'_hetman_. Le porte-
etendard general marchait devant le premier drapeau; bien des
enseignes et d'autres drapeaux flottaient au loin; les compagnons
des _bountchougs_ portaient des lances ornees de queues de cheval.
Il y avait aussi beaucoup d'autres dignitaires d'armee, beaucoup
de greffiers de _polk_s suivis par des detachements a pied et a
cheval. On comptait presque autant de Cosaques volontaires que de
Cosaques de ligne et de front. Ils s'
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