e veux voir comment on le
tourmentera.
-- O mon seigneur, pourquoi faire? La, nous ne pouvons pas le
secourir.
-- Marchons, dit Boulba avec resolution.
Et le juif, comme une bonne d'enfant, le suivit avec un soupir.
Il n'etait pas difficile de trouver la place ou devait avoir lieu
le supplice; le peuple y affluait de toutes parts. Dans ce siecle
grossier, c'etait un spectacle des plus attrayants, non seulement
pour la populace, mais encore pour les classes elevees. Nombre de
vieilles femmes devotes, nombre de jeunes filles peureuses, qui
revaient ensuite toute la nuit de cadavres ensanglantes, et qui
s'eveillaient en criant comme peut crier un hussard ivre, n'en
saisissaient pas moins avec avidite l'occasion de satisfaire leur
curiosite cruelle. Ah! quelle horrible torture! criaient quelques-
unes d'entre elles, avec une terreur febrile, en fermant les yeux
et en detournant le visage; et pourtant elles demeuraient a leur
place. Il y avait des hommes qui, la bouche beante, les mains
etendues convulsivement, auraient voulu grimper sur les tetes des
autres pour mieux voir. Au milieu de figures etroites et communes,
ressortait la face enorme d'un boucher, qui observait toute
l'affaire d'un air connaisseur, et conversait en monosyllabes avec
un maitre d'armes qu'il appelait son compere, parce que, les jours
de fete, ils s'enivraient dans le meme cabaret. Quelques-uns
discutaient avec vivacite, d'autres tenaient meme des paris; mais
la majeure partie appartenait a ce genre d'individus qui regardent
le monde entier et tout ce qui pause dans le monde, en se grattant
le nez avec les doigts. Sur le premier plan, aupres des porteurs
de moustaches, qui composaient la garde de la ville, se tenait un
jeune gentilhomme campagnard, ou qui paraissait tel, en costume
militaire, et qui avait mis sur son dos tout ce qu'il possedait,
de sorte qu'il ne lui etait reste a la maison qu'une chemise
dechiree et de vieilles bottes. Deux chaines, auxquelles pendait
une espece de ducat, se croisaient sur sa poitrine. Il etait venu
la avec sa maitresse Yousefa, et s'agitait continuellement, pour
que l'on ne tachat point sa robe de soie. Il lui avait tout
explique par avance, si bien qu'il etait decidement impossible de
rien ajouter.
-- Ma petite Yousefa, disait-il, tout ce peuple que vous voyez, ce
sont des gens qui sont venus pour voir comment on va supplicier
les criminels. Et celui-la, ma petite, que vous voyez la-bas, et
qui tient a
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