demie ou un incendie general. Si Yankel l'eut habitee une
dizaine d'annees de plus, il est probable qu'il en eut expulse
jusqu'aux autorites. Tarass entra dans la chambre.
Le juif priait, la tete couverte d'un long voile assez malpropre,
et il s'etait retourne pour cracher une derniere fois, selon le
rite de sa religion, quand tout a coup ses yeux s'arreterent sur
Boulba qui se tenait derriere lui. Avant tout brillerent a ses
regards les deux mille ducats offerts pour la tete du Cosaque;
mais il eut honte de sa cupidite, et s'efforca d'etouffer en lui-
meme l'eternelle pensee de l'or, qui, semblable a un ver, se
replie autour de l'ame d'un juif.
-- Ecoute, Yankel, dit Tarass au juif, qui s'etait mis en devoir
de le saluer et qui alla prudemment fermer la porte, afin de
n'etre vu de personne; je t'ai sauve la vie: les Cosaques
t'auraient dechire comme un chien. A ton tour maintenant, rends-
moi un service.
Le visage du juif se rembrunit legerement.
-- Quel service? si c'est quelque chose que je puisse faire,
pourquoi ne le ferais-je pas?
-- Ne dis rien. Mene-moi a Varsovie.
-- A Varsovie?... Comment! a Varsovie? dit Yankel; et il haussa
les sourcils et les epaules d'etonnement.
-- Ne reponds rien. Mene-moi a Varsovie. Quoi qu'il en arrive, je
veux le voir encore une fois, lui dire ne fut-ce qu'une parole...
-- A qui, dire une parole?
-- A lui, a Ostap, a mon fils.
-- Est-ce que ta seigneurie n'a pas entendu dire que deja...
-- Je sais tout, je sais tout; on offre deux mille ducats pour ma
tete. Les imbeciles savent ce qu'elle vaut. Je t'en donnerai cinq
mille, moi. Voici deux mille ducats comptant (Boulba tira deux
mille ducats d'une bourse en cuir), et le reste quand je
reviendrai.
Le juif saisit aussitot un essuie-main et en couvrit les ducats.
-- Ah! la belle monnaie! ah! la bonne monnaie! s'ecria-t-il, en
retournant un ducat entre ses doigts et en l'essayant avec les
dents; je pense que l'homme a qui ta seigneurie a enleve ces
excellents ducats n'aura pas vecu une heure de plus dans ce monde,
mais qu'il sera alle tout droit a la riviere, et s'y sera noye,
apres avoir eu de si beaux ducats.
-- Je ne t'en aurais pas prie, et peut-etre aurais-je trouve moi-
meme le chemin de Varsovie. Mais je puis etre reconnu et pris par
ces damnes Polonais; car je ne suis pas fait pour les inventions.
Mais vous autres, juifs, vous etes crees pour cela. Vous
tromperiez le diable en personne: vous conna
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