ble. Tu crois qu'on ta pris pour un simple Cosaque?
non; ta tete a ete estimee deux mille ducats.
-- Et Ostap? s'ecria tout a coup Tarass, qui essaya de se mettre
sur son seant en se rappelant soudain comment on s'etait empare
d'Ostap sous ses yeux, comment on l'avait garrotte et comment il
se trouvait aux mains des Polonais.
Alors, la douleur s'empara de cette vieille tete. Il arracha et
dechira les bandages qui couvraient ses blessures; il les jeta
loin de lui; il voulut parler a haute voix, mais ne dit que des
choses incoherentes. Il etait de nouveau en proie a la fievre, au
delire, des paroles insensees s'echappaient sans lien et sans
ordre de ses levres. Pendant ce temps, son fidele compagnon se
tenait debout devant lui, l'accablant de cruels reproches et
d'injures. Enfin, il le saisit par les pieds, par les mains,
l'emmaillota comme on fait d'un enfant, replaca tous les bandages,
l'enveloppa dans une peau de boeuf, l'assujettit avec des cordes a
la selle d'un cheval, et s'elanca de nouveau sur la route avec
lui.
-- Fusses-tu mort, je te ramenerai dans ton pays. Je ne permettrai
pas que les Polonais insultent a ton origine cosaque, qu'ils
mettent ton corps en lambeaux et qu'ils les jettent dans la
riviere. Si l'aigle doit arracher les yeux a ton cadavre, que ce
soit l'aigle de nos steppes, non l'aigle polonais, non celui qui
vient des terres de la Pologne. Fusses-tu mort, je te ramenerai en
Ukraine.
Ainsi parlait son fidele compagnon, fuyant jour et nuit, sans
treve ni repos. Il le ramena enfin, prive de sentiment, dans la
_setch_ meme des Zaporogues. La, il se mit a le traiter au moyen
de simples et de compresses; il decouvrit une femme juive, habile
dans l'art de guerir, qui, pendant un mois, lui fit prendre divers
remedes: enfin Tarass se sentit mieux. Soit que l'influence du
traitement fut salutaire, soit que sa nature de fer eut pris le
dessus, au bout d'un mois et demi, il etait sur pied. Ses plaies
s'etaient fermees, et les cicatrices faites par le sabre
temoignaient seules de la gravite des blessures du vieux Cosaque.
Pourtant, il etait devenu visiblement morose et chagrin. Trois
rides profondes avaient creuse son front, ou elles resterent
desormais. Quand il jeta les yeux autour de lui, tout lui parut
nouveau dans la _setch_. Tous ses vieux compagnons etaient morts;
il ne restait pas un de ceux qui avaient combattu pour la sainte
cause, pour la foi et la fraternite.
Ceux-la aussi qui, a la su
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