e vous savez vous-memes; vous
savez ce qu'ordonne l'honneur cosaque.
Et tous les Cosaques, autant qu'il y en avait, s'embrasserent
reciproquement, ce furent les deux _atamans_ qui commencerent;
apres avoir fait glisser dans les doigts leurs moustaches grises,
ils se donnerent l'accolade sur les deux joues; puis, se prenant
les mains avec force, ils voulurent se demander l'un a l'autre:
-- Eh bien! seigneur frere, nous reverrons-nous ou non?
Mais ils se turent, et les deux tetes grises s'inclinerent
pensives. Et tous les Cosaques, jusqu'au dernier, se dirent adieu,
sachant qu'il y aurait; beaucoup de besogne a faire pour les uns
et pour les autres. Mais ils resolurent de ne pas se separer a
l'instant meme, et d'attendre l'obscurite de la nuit pour ne pas
laisser voir a l'ennemi la diminution de l'armee. Cela fait, ils
allerent diner, groupes par _koureni_. Apres diner, tous ceux qui
devaient se mettre en route se coucherent et dormirent d'un long
et profond sommeil, comme s'ils eussent pressenti que c'etait
peut-etre le dernier dont ils jouiraient aussi librement. Ils
dormirent jusqu'au coucher du soleil; et quand le soir fut venu,
ils commencerent a graisser leurs chariots. Quand tout fut pret
pour le depart, ils envoyerent les bagages en avant; eux-memes,
apres avoir encore une fois salue leurs compagnons de leurs
bonnets, suivirent lentement les chariots; la cavalerie marchant
en ordre, sans crier, sans siffler les chevaux, pietina doucement
a la suite des fantassins, et bientot ils disparurent dans
l'ombre. Seulement le pas des chevaux retentissait sourdement dans
le lointain, et quelquefois aussi le bruit d'une roue mal graissee
qui criait sur l'essieu.
Longtemps encore, les Zaporogues restes devant la ville leur
faisaient signe de la main, quoiqu'ils les eussent perdus de vue;
et lorsqu'ils furent revenus a leur campement, lorsqu'ils virent,
a la clarte des etoiles, que la moitie des chariots manquaient, et
un nombre egal de leurs freres, leur coeur se serra, et tous
devenant pensifs involontairement, baisserent vers la terre leurs
tetes turbulentes.
Tarass voyait bien que, dans les rangs mornes de ses Cosaques, la
tristesse, peu convenable aux braves, commencait a incliner
doucement toutes les tetes. Mais il se taisait; il voulait leur
donner le temps de s'accoutumer a la peine que leur causaient les
adieux de leurs compagnons; et cependant, il se preparait en
silence a les eveiller tout a coup par le
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