arche a pied,
beaucoup monte a cheval; ils avaient vu les rivages de l'Anatolie,
les steppes salees de la Crimee, toutes les rivieres, grandes et
petites, qui se versent dans le Dniepr, toutes les anses et toutes
les iles de ce fleuve. Ils avaient foule la terre moldave,
illyrienne et turque; ils avaient sillonne toute la mer Noire sur
leurs bateaux cosaques a deux gouvernails; ils avaient attaque,
avec cinquante bateaux de front, les plus riches et les plus
puissants vaisseaux; ils avaient coule a fond bon nombre de
galeres turques, et enfin brule beaucoup de poudre en leur vie.
Plus d'une fois ils avaient dechire, pour s'en faire des bas, de
precieuses etoffes de Damas; plus d'une fois ils avaient rempli de
sequins en or pur les larges poches de leurs pantalons. Quant aux
richesses que chacun d'eux avait dissipees a boire et a se
divertir, et qui auraient pu suffire a la vie d'un autre homme, il
n'eut pas ete possible d'en dresser le compte. Ils avaient tout
dissipe a la cosaque, fetant le monde entier, et louant des
musiciens pour faire danser tout l'univers. Meme alors il y en
avait bien peu qui n'eussent quelque tresor, coupes et vases
d'argent, agrafes et bijoux, enfouis sous les joncs des iles du
Dniepr, pour que le Tatar ne put les trouver, si, par malheur, il
reussissait a tomber sur la _setch_. Mais il eut ete difficile au
Tatar de denicher le tresor, car le maitre du tresor lui-meme
commencait a oublier en quel endroit il l'avait cache. Tels
etaient les Cosaques qui avaient voulu demeurer pour venger sur
les Polonais leurs fideles compagnons et la religion du Christ. Le
vieux Cosaque Bovdug avait aussi prefere rester avec eux en
disant:
-- Maintenant mes annees sont trop lourdes pour que j'aille courir
le Tatar; ici, il y a une place ou je puis m'endormir de la bonne
mort du Cosaque. Depuis longtemps j'ai demande a Dieu, s'il faut
terminer ma vie, que je la termine dans une guerre pour la sainte
cause chretienne. Il m'a exauce. Nulle part une plus belle mort ne
viendra pour le vieux Cosaque.
Quand ils se furent tous divises et ranges sur deux files, par
_kouren_, le _kochevoi_ passa entre les rangs, et dit:
-- Eh bien! seigneurs freres, chaque moitie est-elle contente de
l'autre?
-- Tous sont contents, pere, repondirent les Cosaques.
-- Embrassez-vous donc, et dites-vous adieu l'un a l'autre, car
Dieu sait s'il vous arrivera de vous revoir en cette vie. Obeissez
a votre _ataman_, et faites ce qu
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