iers, rigides, degrises, avec la face
dure des hommes de guerre en fonctions, restaient debout pres des
fenetres, sondaient la nuit.
L'averse torrentielle continuait. Un clapotis continu emplissait les
tenebres, un flottant murmure d'eau qui tombe et d'eau qui coule,
d'eau qui degoutte et d'eau qui rejaillit.
Soudain, un coup de feu retentit, puis un autre tres loin; et, pendant
quatre heures, on entendit ainsi de temps en temps des detonations
proches ou lointaines, et des cris de ralliement, des mots etranges
lances comme appel par des voix gutturales.
Au matin, tout le monde rentra. Deux soldats avaient ete tues, et
trois autres blesses par leurs camarades dans l'ardeur de la chasse et
l'effarement de cette poursuite nocturne.
On n'avait pas retrouve Rachel.
Alors les habitants furent terrorises, les demeures bouleversees,
toute la contree parcourue, battue, retournee. La juive ne semblait
pas avoir laisse une seule trace de son passage.
Le general, prevenu, ordonna d'etouffer l'affaire, pour ne point
donner de mauvais exemple dans l'armee, et il frappa d'une peine
disciplinaire le commandant, qui punit ses inferieurs. Le general
avait dit: "On ne fait pas la guerre pour s'amuser et caresser des
filles publiques." Et le comte de Farlsberg, exaspere, resolut de se
venger sur le pays.
Comme il lui fallait un pretexte afin de sevir sans contrainte, il fit
venir le cure et lui ordonna de sonner la cloche a l'enterrement du
marquis d'Eyrik.
Contre toute attente, le pretre se montra docile, humble, plein
d'egards. Et quand le corps de Mlle Fifi, porte par des soldats,
precede, entoure, suivi de soldats qui marchaient le fusil charge,
quitta le chateau d'Uville, allant au cimetiere, pour la premiere fois
la cloche tinta son glas funebre avec une allure allegre, comme si une
main amie l'eut caressee.
Elle sonna le soir encore, et le lendemain aussi, et tous les jours;
elle carillonna tant qu'on voulut. Parfois meme, la nuit, elle se
mettait toute seule en branle, et jetait doucement deux ou trois
sons dans l'ombre, prise de gaites singulieres, reveillee on ne sait
pourquoi. Tous les paysans du lieu la dirent alors ensorcelee; et
personne, sauf le cure et le sacristain, n'approchait plus du clocher.
C'est qu'une pauvre fille vivait la-haut, dans l'angoisse et la
solitude, nourrie en cachette par ces deux hommes.
Elle y resta jusqu'au depart des troupes allemandes. Puis, un soir, le
cure ayant emprunt
|