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On disait tous bas: "Vous savez, la petite Fontanelle." Dans la rue
tout le monde se retournait quand elle passait. On ne pouvait meme pas
trouver de bonnes pour la conduire a la promenade, les servantes des
autres familles se tenant a l'ecart comme si une contagion se fut
emanee de l'enfant pour s'etendre a tous ceux qui l'approchaient.
"C'etait pitie de voir cette pauvre petite sur le cours ou vont jouer
les mioches toutes les apres-midi. Elle restait toute seule, debout
pres de sa domestique, regardant d'un air triste les autres gamins qui
s'amusaient. Quelquefois, cedant a une irresistible envie de se meler
aux enfants, elle s'avancait timidement, avec des gestes craintifs,
et entrait dans un groupe d'un pas furtif, comme consciente de son
indignite. Et aussitot, de tous les bancs, accouraient les meres,
les bonnes, les tantes, qui saisissaient par la main les fillettes
confiees a leur garde et les entrainaient brutalement. La petite
Fontanelle demeurait isolee, eperdue, sans comprendre; et elle se
mettait a pleurer, le coeur crevant de chagrin. Puis elle courait se
cacher la figure, en sanglotant, dans le tablier de sa bonne.
"Elle grandit; ce fut pis encore. On eloignait d'elle les jeunes
filles comme d'une pestiferee. Songez donc que cette jeune personne
n'avait plus rien a apprendre, rien; qu'elle n'avait plus droit a la
symbolique fleur d'oranger; qu'elle avait penetre, presque avant de
savoir lire, le redoutable mystere que les meres laissent a peine
deviner, en tremblant, le soir seulement du mariage.
"Quand elle passait dans la rue, accompagnee de sa gouvernante,
comme si on l'eut gardee a vue dans la crainte incessante de quelque
nouvelle et terrible aventure, quand elle passait dans la rue, les
yeux toujours baisses sous la honte mysterieuse qu'elle sentait peser
sur elle, les autres jeunes filles, moins naives qu'on ne pense,
chuchotaient en la regardant sournoisement, ricanaient en dessous, et
detournaient bien vite la tete d'un air distrait, si par hasard elle
les fixait.
"On la saluait a peine. Seuls, quelques hommes se decouvraient. Les
meres feignaient de ne l'avoir pas apercue. Quelques petits voyous
l'appelaient "madame Baptiste", du nom du valet qui l'avait outragee
et perdue.
"Personne ne connaissait les tortures secretes de son ame; car elle
ne parlait guere et ne riait jamais. Ses parents eux-memes semblaient
genes devant elle, comme s'ils lui en eussent eternellement voulu de
que
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