a, dit-il en montrant la buche replacee dans l'atre, voila
pourquoi je ne me suis jamais marie."
Elle le considera, tout etonnee, avec cet oeil curieux des femmes qui
veulent savoir, cet oeil des femmes qui ne sont plus toutes jeunes, ou
la curiosite est reflechie, compliquee, souvent malicieuse; et elle
demanda: "Comment ca?"
Il reprit: "Oh! c'est toute une histoire, une assez triste et vilaine
histoire.
Mes anciens camarades se sont souvent etonnes du froid survenu tout a
coup entre un de mes meilleurs amis qui s'appelait, de son petit nom,
Julien, et moi. Ils ne comprenaient point comment deux intimes, deux
inseparables comme nous etions, avaient pu tout a coup devenir presque
etrangers l'un a l'autre. Or, voici le secret de notre eloignement.
Lui et moi, nous habitions ensemble, autrefois. Nous ne nous quittions
jamais; et l'amitie qui nous liait semblait si forte que rien n'aurait
pu la briser.
Un soir, en rentrant, il m'annonca son mariage.
Je recus un coup dans la poitrine, comme s'il m'avait vole ou trahi.
Quand un ami se marie, c'est fini, bien fini. L'affection jalouse
d'une femme, cette affection ombrageuse, inquiete et charnelle,
ne tolere point l'attachement vigoureux et franc, cet attachement
d'esprit, de coeur et de confiance qui existe entre deux hommes.
Voyez-vous, madame, quel que soit l'amour qui les soude l'un
a l'autre, l'homme et la femme sont toujours etrangers d'ame,
d'intelligence; ils restent deux belligerants; ils sont d'une race
differente; il faut qu'il y ait toujours on dompteur et un dompte, un
maitre et un esclave; tantot l'un, tantot l'autre; ils ne sont jamais
deux egaux. Ils s'etreignent les mains, leurs mains frissonnantes
d'ardeur; ils ne se les serrent jamais d'une large et forte pression
loyale, de cette pression qui semble ouvrir les coeurs, les mettre a
nu, dans un elan de sincere et forte et virile affection. Les sages,
au lieu de se marier et de procreer, comme consolation pour les vieux
jours, des enfants qui les abandonneront, devraient chercher un bon et
solide ami, et vieillir avec lui dans cette communion de pensees qui
ne peut exister qu'entre deux hommes. Enfin, mon ami Julien se maria.
Elle etait jolie, sa femme, charmante, une petite blonde frisottee,
vive, potelee, qui semblait l'adorer.
D'abord, j'allais peu dans la maison, craignant de gener leur
tendresse, me sentant de trop entre eux. Ils semblaient pourtant
m'attirer, m'appeler sans cesse, et m'
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