mergeaient les toits des maisons. Puis cette nuee
blanche, montant comme une maree, enveloppait tout, faisait de ce
vallon un pays de fantomes ou les hommes glissaient comme des ombres
sans se reconnaitre a dix pas. Les arbres, drapes de vapeurs, se
dressaient, moisis dans cette humidite.
Mais les gens qui passaient sur les cotes voisines, et qui regardaient
le trou blanc de la vallee, voyaient surgir au-dessus des brumes
accumulees au niveau des collines, les deux cheminees geantes des
etablissements de M. Vasseur, qui vomissaient nuit et jour a travers
le ciel deux serpents de fumee noire.
Cela seul indiquait qu'on vivait dans ce creux qui semblait rempli
d'un nuage de coton.
Or, cette annee-la, quand revint octobre, le medecin conseilla a la
jeune femme d'aller passer l'hiver a Paris chez sa mere, l'air du
vallon devenant dangereux pour sa poitrine.
Elle partit.
Pendant les premiers mois elle pensa sans cesse a la maison abandonnee
ou s'etaient enracinees ses habitudes, dont elle aimait les meubles
familiers et l'allure tranquille. Puis elle s'accoutuma a sa vie
nouvelle et prit gout aux fetes, aux diners, aux soirees, a la danse.
Elle avait conserve jusque-la ses manieres de jeune fille, quelque
chose d'indecis et d'endormi, une marche un peu trainante, un sourire
un peu las. Elle devint vive, gaie, toujours prete aux plaisirs. Des
hommes lui firent la cour. Elle s'amusait de leurs bavardages, jouait
avec leurs galanteries, sure de sa resistance, un peu degoutee de
l'amour par ce qu'elle en avait appris dans le mariage.
La pensee de livrer son corps aux grossieres caresses de ces etres
barbus la faisait rire de pitie et frissonner un peu de repugnance.
Elle se demandait avec stupeur comment des femmes pouvaient consentir
a ces contacts degradants avec des etrangers, alors qu'elles y etaient
deja contraintes avec l'epoux legitime. Elle eut aime plus tendrement
son mari s'ils avaient vecu comme deux amis, s'en tenant aux chastes
baisers qui sont les caresses des ames.
Mais elle s'amusait beaucoup des compliments, des desirs apparus dans
les yeux et qu'elle ne partageait point, des attaques directes, des
declarations jetees dans l'oreille quand on repassait au salon apres
les fins diners, des paroles balbutiees si bas qu'il les fallait
presque deviner, et qui lui laissaient la chair froide, le coeur
tranquille, tout en chatouillant sa coquetterie inconsciente, en
allumant au fond d'elle une flamme de
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