et et un garde dans son chateau
seigneurial. Ce chateau, vieux batiment grisatre entoure de sapins
gemissants, au centre de longues avenues de chenes ou galopait le
vent, semblait abandonne depuis des siecles. Un antique mobilier
habitait seul les pieces toujours fermees, ou jadis ces gens dont on
voyait les portraits accroches dans un corridor aussi tempetueux que
les avenues recevaient ceremonieusement les nobles voisins.
Quant a nous, nous nous etions refugies simplement dans la cuisine,
seul coin habitable du manoir, une immense cuisine dont les lointains
sombres s'eclairaient quand on jetait une bourree nouvelle dans la
vaste cheminee. Puis, chaque soir, apres une douce somnolence devant
le feu, apres que nos bottes trempees avaient fume longtemps et que
nos chiens d'arret, couches en rond entre nos jambes, avaient reve
de chasse en aboyant comme des somnambules, nous montions dans notre
chambre.
C'etait l'unique piece qu'on eut fait plafonner et platrer partout, a
cause des souris. Mais elle etait demeuree nue, blanchie seulement a
la chaux, avec des fusils, dos fouets a chiens et des cors de chasse
accroches aux murs; et nous nous glissions grelottants dans nos lits,
aux deux coins de cette case siberienne.
A une lieue en face du chateau, la falaise a pic tombait dans la mer;
et les puissants souffles de l'Ocean, jour et nuit, faisaient soupirer
les grands arbres courbes, pleurer le toit et les girouettes, crier
tout le venerable batiment, qui s'emplissait de vent par ses tuiles
disjointes, ses cheminees larges comme des gouffres, ses fenetres qui
ne fermaient plus.
Ce jour-la il avait gele horriblement. Le soir etait venu. Nous
allions nous mettre a table devant le grand feu de la haute cheminee
ou rotissaient un rable de lievre flanque de deux perdrix qui
sentaient bon.
Mon cousin leva la tete: "Il ne fera pas chaud en se couchant,"
dit-il.
Indifferent, je repliquai: "Non, mais nous aurons du canard aux etangs
demain matin."
La servante, qui mettait notre couvert a un bout de la table et celui
des domestiques a l'autre bout, demanda: "Ces messieurs savent-ils que
c'est ce soir le reveillon?"
Nous n'en savions rien assurement, car nous ne regardions guere le
calendrier. Mon compagnon reprit: "Alors c'est ce soir la messe de
minuit. C'est donc pour cela qu'on a sonne toute la journee!"
La servante repliqua: "Oui et non, monsieur: on a sonne aussi parce
que le pere Fournel est mort."
Le pe
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