coeur.
Suis-je fou?--Non.
Voila qu'un soir je la sentis heureuse. Je sentis qu'une passion
nouvelle vivait en elle. J'en etais sur, indubitablement sur. Elle
palpitait comme apres mes etreintes; son oeil flambait, ses mains
etaient chaudes, toute sa personne vibrante degageait cette vapeur
d'amour d'ou mon affolement etait venu.
Je feignis de ne rien comprendre, mais mon attention l'enveloppait
comme un filet.
Je ne decouvrais rien, pourtant.
J'attendis une semaine, un mois, une saison. Elle s'epanouissait dans
l'eclosion d'une incomprehensible ardeur; elle s'apaisait dans le
bonheur d'une insaisissable caresse.
Et, tout a coup, je devinai! Je ne suis pas fou. Je le jure, je ne
suis pas fou!
Comment dire cela? Comment me faire comprendre? Comment exprimer cette
abominable et incomprehensible chose?
Voici de quelle maniere je fus averti.
Un soir, je vous l'ai dit, un soir, comme elle rentrait d'une longue
promenade a cheval, elle tomba, les pommettes rouges, la poitrine
battante, les jambes cassees, les yeux meurtris, sur une chaise basse,
en face de moi. Je l'avais vue comme cela! Elle aimait! Je ne pouvais
m'y tromper!
Alors, perdant la tete, pour ne plus la contempler, je me tournai vers
la fenetre, et j'apercus un valet emmenant par la bride vers l'ecurie
son grand cheval, qui se cabrait.
Elle aussi suivait de l'oeil l'animal ardent et bondissant. Puis,
quand il eut disparu, elle s'endormit tout a coup.
Je songeai toute la nuit; et il me sembla penetrer des mysteres que je
n'avais jamais soupconnes. Qui sondera jamais les perversions de la
sensualite des femmes? Qui comprendra leurs invraisemblables caprices
et l'assouvissement etrange des plus etranges fantaisies?
Chaque matin, des l'aurore, elle partait au galop par les plaines et
les bois; et, chaque fois, elle rentrait alanguie, comme apres des
frenesies d'amour.
J'avais compris! j'etais jaloux maintenant du cheval nerveux et
galopant; jaloux du vent qui caressait son visage quand elle allait
d'une course folle; jaloux des feuilles qui baisaient, en passant,
ses oreilles; des gouttes de soleil qui lui tombaient sur le front a
travers les branches; jaloux de la selle qui la portait et qu'elle
etreignait de sa cuisse.
C'etait tout cela qui la faisait heureuse, qui l'exaltait,
l'assouvissait, l'epuisait et me la rendait ensuite insensible et
presque pamee.
Je resolus de me venger. Je fus doux et plein d'attentions pour elle.
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