ssieurs.
J'avais la une heure au moins d'occupation, et je me mis en marche,
d'un air triste, derriere les autres.
Les deux derniers se retournerent avec etonnement, puis se parlerent
bas. Ils se demandaient certainement si j'etais de la ville. Puis
ils consulterent les deux precedents, qui se mirent a leur tour a me
devisager. Cette attention investigatrice me genait, et, pour y mettre
fin, je m'approchai de mes voisins. Les ayant salues, je dis: "Je vous
demande bien pardon, messieurs, si j'interromps votre conversation.
Mais, apercevant un enterrement civil, je me suis empresse de le
suivre sans connaitre, d'ailleurs, le mort que vous accompagnez."
Un des messieurs prononca: "C'est une morte." Je fus surpris et je
demandai: "Cependant c'est bien un enterrement civil, n'est-ce pas?"
L'autre monsieur, qui desirait evidemment m'instruire, prit la parole:
"Oui et non. Le clerge nous a refuse l'entree de l'eglise." Je
poussai, cette fois, un "Ah!" de stupefaction. Je ne comprenais plus
du tout.
Mon obligeant voisin me confia, a voix basse: "Oh! c'est toute une
histoire. Cette jeune femme s'est tuee, et voila pourquoi on n'a pas
pu la faire enterrer religieusement. C'est son mari que vous voyez la,
le premier, celui qui pleure."
Alors, je prononcai, en hesitant: "Vous m'etonnez et vous m'interessez
beaucoup, monsieur. Serait-il indiscret de vous demander de me conter
cette histoire? Si je vous importune, mettez que je n'ai rien dit."
Le monsieur me prit le bras familierement: "Mais pas du tout, pas du
tout. Tenez, restons un peu derriere. Je vais vous dire ca, c'est fort
triste. Nous avons le temps, avant d'arriver au cimetiere, dont vous
voyez les arbres la-haut; car la cote est rude."
Et il commenca: "Figurez-vous que cette jeune femme, Mme Paul Hamot,
etait la fille d'un riche commercant du pays, M. Fontanelle. Elle eut,
etant tout enfant, a l'age de onze ans, une aventure terrible: un
valet la souilla. Elle en faillit mourir, estropiee par ce miserable
que sa brutalite denonca. Un epouvantable proces eut lieu et revela
que depuis trois mois la pauvre martyre etait victime des honteuses
pratiques de cette brute. L'homme fut condamne aux travaux forces a
perpetuite.
"La petite fille grandit, marquee d'infamie, isolee, sans camarade, a
peine embrassee par les grandes personnes qui auraient cru se tacher
les levres en touchant son front.
"Elle etait devenue pour la ville une sorte de monstre, de phenomene
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