is le simple contact des
mains jusqu'a cet innommable besoin qui nous fait commettre tant de
sottises.
Entendons-nous bien. Je ne sais si ce que vous appelez l'amour du
coeur, l'amour des ames, si l'idealisme sentimental, le platonisme
enfin, peut exister sous ce ciel; j'en doute meme. Mais l'autre amour,
celui des sens, qui a, du bon, et beaucoup de bon, est veritablement
terrible en ce climat. La chaleur, cette constante brulure de l'air
qui vous enfievre, ces souffles suffocants du Sud, ces marees de feu
venues du grand desert si proche, ce lourd siroco, plus ravageant,
plus dessechant que la flamme, ce perpetuel incendie d'un continent
tout entier brule jusqu'aux pierres par un enorme et devorant soleil,
embrasent le sang, affolent la chair, embestialisent.
Mais j'arrive a mon histoire. Je ne te dis rien de mes premiers temps
de sejour en Algerie. Apres avoir visite Bone, Constantine, Biskra
et Setif, je suis venu a Bougie par les gorges du Chabet, et une
incomparable route au milieu des forets kabyles, qui suit la mer en
la dominant de deux cents metres, et serpente selon les testons dela
haute montagne, jusqu'a ce merveilleux golfe de Bougie aussi beau que
celui de Naples, que celui d'Ajaccio et que celui de Douarnenez, les
plus admirables que je connaisse. J'excepte dans ma comparaison cette
invraisemblable baie de Porto, ceinte de granit rouge, et habitee
par les fantastiques et sanglants geants de pierre qu'on appelle les
"Calanche" de Piana, sur les cotes Ouest de la Corse.
De loin, de tres loin, avant de contourner le grand bassin ou dort
l'eau pacifique, on apercoit Bougie. Elle est batie sur les flancs
rapides d'un mont tres eleve et couronne par des bois. C'est une
tache blanche dans cette pente verte; on dirait l'ecume d'une cascade
tombant a la mer.
Des que j'eus mis le pied dans cette toute petite et ravissante ville,
je compris que j'allais y rester longtemps. De partout l'oeil embrasse
un vaste cercle de sommets crochus, denteles, cornus et bizarres,
tellement forme qu'on decouvre a peine la pleine mer, et que le
golfe a l'air d'un lac. L'eau bleue, d'un bleu laiteux, est d'une
transparence admirable; et le ciel d'azur, d'un azur epais, comme s'il
avait recu deux couches de couleur, etale au-dessus sa surprenante
beaute. Ils semblent se mirer l'un dans l'autre et se renvoyer leurs
reflets.
Bougie est la ville des ruines. Sur le quai, en arrivant, on rencontre
un debris si magnifique, qu'on
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