de quelque beau carrefour
de hetre et de chene noir. Du reste, sa maison etait honorable sinon
elegante, sa cuisine confortable sinon exquise, son vin genereux, ses
bidets pleins de vigueur, ses chiens bien ouverts et bien evides au
flanc, ses amis nombreux et bons buveurs, ses servantes hautes en
couleur et quelque peu barbues. Dans son jardin fleurissaient les plus
beaux espaliers du pays; dans ses pres paissaient les plus belles
vaches; enfin, quoique les limites du chateau et de la ferme ne fussent
ni bien tracees ni bien gardees, quoique les poules et les abeilles
fussent un peu trop accoutumees au salon, que la saine odeur des etables
penetrat fortement dans la salle a manger, il n'est pas moins certain
que la vie pouvait etre douce, active, facile et sage derriere les vieux
murs du chateau de Morand.
Mais Andre de Morand, le fils unique du marquis, n'en jugeait pas ainsi;
il faisait de vains efforts pour se renfermer dans la sphere de cette
existence, qui convenait si bien aux gouts et aux facultes de ceux qui
l'entouraient. Seul et chagrin parmi tous ces gens occupes d'affaires
lucratives et de commodes plaisirs, il s'adressait des questions
dangereuses: "A quoi bon ces fatigues, et que sont ces jouissances?
Travailler pour arriver a ce but, est-ce la peine? Quel est le plus
rude, de se condamner a ces amusements ou de se laisser tuer par
l'ennui?" Toutes ses idees tournaient dans ce cercle sans issue, tous
ses desirs se brisaient a des obstacles grossiers, insurmontables. Il
eprouvait le besoin de posseder ou de sentir tout ce qui etait ignore de
ses proches; mais ceux dont il dependait ne s'en souciaient point, et
resistaient a sa fantaisie sans se donner la peine de le contredire.
Lorsque son pere s'etait decide a lui donner un precepteur, c'avait ete
par des raisons d'amour-propre, et nullement en vue des avantages de
l'education. Soit disposition inveteree, soit l'effet du desaccord
etabli par cette education entre lui et les hommes qui l'entouraient, le
caractere d'Andre etait devenu de plus en plus insolite et singulier aux
yeux de sa famille. Son enfance avait ete maladive et taciturne. Dans
son age de puberte, il se montra melancolique, inquiet, bizarre. Il
sentit de grandes ambitions fermenter en lui, monter par bouffees, et
tomber tout a coup sous le poids du decouragement. Les livres dont on le
nourrissait pour l'apaiser ne lui suffisaient pas ou l'absorbaient trop.
Il eut voulu voyager, changer d
|